Madame Sans-Gêne

Pour certains c’était un restaurant du Marais à Paris, pour d’autres une pièce de théâtre de Victorien Sardou. Pour moi, c’était tout cela aussi, mais avant tout, dans ma vie présente, c’était ma voisine. Indécrottable
commère, harceleuse à temps perdu (je vous en donnerai très bientôt un exemple on ne peut plus concret), maladivement curieuse et incapable de ne pas se mêler de ce qui ne la regarde pas. Le genre de bonne femme à hanter les autres après sa mort pour ne rien louper, d’autant plus qu’elle pourra enfin passer à travers les murs si on refuse de lui ouvrir la porte. La consécration d’une vie!

Personne ne la verrait, personne ne l’insulterait. Plus aucune limite, elle n’en ferait qu’à sa tête. Morte ou vive, elle n’en faisait de toute façon qu’à sa tête. Et les autres humains qui l’entouraient n’avaient qu’à bien se tenir. Vivre en sa proximité demandait beaucoup d’endurance, de zenitude ou de diplomatie. A moins que ce ne soit du jemenfoutisme? Je pense que les jemenfoutistes sont les mieux armés pour la supporter. Les autres n’ont aucune chance de lui échapper.

De quoi je me mêle?

Prenez cet ouvrier en train de passer la façade qu’il venait de mettre à nu au karcher. Josie l’observait depuis le trottoir d’en face. Mains sur les hanches, tête en avant du reste du corps comme d’habitude et moue d’insatisfaction. La machine manipulée par l’ouvrier faisait-elle trop de bruit à son goût ou le jeune homme était-il à son goût? Le fait est qu’elle se hâta chez elle et ressortit avec un seau, une brosse et un produit de nettoyage en spray. Elle se plaça à côté de l’ouvrier sans se soucier de l’eau qui éclaboussait la façade. Voulait-elle lancer un concours de t-shirt mouillé? L’ouvrier arrêta net le jet d’eau. Elle dégaina son spray d’une main pour le mettre sous le nez de l’ouvrier et la brosse de l’autre.

C’était hallucinant! Elle devait expliquer au jeune homme comment faire son métier. Non seulement, c’était totalement absurde et inapproprié, mais en plus, le jeune ouvrier travaillait pour un patron et ce n’était pas elle. Sans gêne aucune, Josie passa sa brosse sur un pan de mur encore sec pour dépoussiérer la pierre de taille, puis spraya son produit quand l’inspecteur des travaux finis vint l’interrompre et lui demander de quitter le chantier.

Pour Josie tout est permis

Autre exemple, elle avait décrété qu’il fallait absolument décorer les parties communes de l’immeuble en fonction des fêtes du calendrier et s’y employait à merveille. Croyait-elle. L’intention aurait pu être louable si cela n’était pas fait avec un goût de responsable décoration d’un supermarché low cost. (non, je n’ai pas honte et vous allez comprendre pourquoi). Petit rappel : cela fait une décennie que je vis dans cet appartement. Cela fait une décennie qu’elle décore les parties communes avec les mêmes décorations qui, comme son parasol, sont délavées et sales. Heureusement pour moi (et pour mes voisins!), elle n’en met pas partout. Seulement dans le couloir du rez-de-chaussée.

En période de l’Avent elle suspend la sempiternelle couronne de l’Avent jusqu’à l’Epiphanie, à un clou en face de l’escalier. Impossible de la louper! Elle est aussi déprimante qu’une soirée d’hiver sans excuse pour boire un grog : en plastique vert foncé, brun caca et rouge sang coagulé. On dirait qu’elle a été conçue par un môme manquant d’imagination et de joie de vivre. Non seulement c’est immonde, mais c’est d’un kitsch… Fût un temps, elle l’encadrait avec de rachitiques guirlandes rouges et dorées. Sur le mur jaune poussin, c’était d’un chic! Le chat a dû bouffer les guirlandes, maintenant la couronne de l’Avent pendouille seule.

Josie fait ce qui lui plait

Vient ensuite la période de Carnaval, un moment joyeux où petits et grands se déguisent et font la fête au bal masqué ohé ohé. Derrière mon loup, je fais ce qui me plait, me plait… Aujourd’hui, tout est permis… Vous voyez l’ambiance! Eh bien, au clou planté dans le mur face à la cage d’escalier, elle accroche un piteux serpentin au tonus d’une vieille huître. Trois autres dans le même état dépriment sur la rambarde de la descente d’escalier vers la cave.

Leurs potes d’origine ont lâché prise depuis longtemps. Au début, la première année, ils étaient trois serpentins fringants et bouclés sur leur clou. Leurs couleurs étaient vives même si en poussant un peu, j’aurais pu les trouver mal assorties. Chaque fois que je passe devant, je ne peux m’empêcher de me demander si elle les rembobine pour s’en ressortir d’une année à l’autre. Cela expliquerait le manque de tension de leurs boucles. L’an prochain, promis, je les enduirais de mon spray pour raviver les boucles de mes cheveux.

Cette année, les pans du serpentin s’échouaient mollement sur le palmier anémié que Josie a décidé de mettre en plein au milieu du jeu de quilles. Pourquoi? Aucune idée! Avouez que cela ne sert à rien. Ça ou rien, je ne vois pas la différence. Il vaut peut être mieux. On en est au stade anal de la décoration. C’est comme son paillasson Mickey Magicien. Pourquoi? Ca change des « Welcome » à toutes les sauces, mais quand même ! Mickey !

Josie marque son territoire

En ce moment et heureusement plus pour longtemps, Josie a sorti les décorations de Pâques. Qu’y a-t-il d’accroché au clou vont me demander ceux qui suivent. Un fagot de branches retenues par un fil de fer auxquelles sont suspendus des œufs peints en couleurs pastel qui virent au gris délavé. Avant, il y avait des poussins et nœuds-nœuds vert Pâques qui traînaient à droite et à gauche. Comme vous l’aurez peut-être compris, je ne suis pas fan mais ça avait le mérite d’apporter un peu de fraîcheur dans ce couloir jaunasse. Bref, cette initiative de décoration tombe à plat. Œuf, plat, je me marre.

En même temps, le jour où il n’y aura plus rien accroché au clou, je la trouverais saumâtre. Cela voudrait dire que Josie avait lâché la rampe. Abandonné le combat contre sa condition d’humaine en lutte perpétuelle avec l’univers qui l’entoure et les gens qui ne vivent et ne pensent pas comme elle. Elle aurait alors arrêté de marquer son territoire jusque dans les espaces communs. Car si les espaces étaient communs, elle y était aussi chez elle. Comme quand elle faisait sécher son linge dans un studio inoccupé, dont la porte n’était pas verrouillée par le propriétaire. Ou quand elle a remplacé l’éclairage commun à toutes les parties communes sur son palier par une applique verte du plus bel effet.

Sa liberté commençait là où s’arrêtait celle qu’elle daignait accorder aux autres. Si par hasard un psychologue me lit, je serais curieuse de connaître son opinion sur le cas Josie.

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