Duel à Josietown

Loin de moi l’idée d’espionner ma voisine: sa vision n’a rien du tout d’exceptionnel et son emploi du temps n’a pas grand intérêt, alors pourquoi perdrais-je mon temps? D’autant que quand elle n’essaye pas d’attirer mon attention, elle ne me manque absolument pas. Le fait est que de mars à juin et de septembre à novembre – périodes où il ne fait ni trop chaud, ni trop froid pour elle -, Josie traine dans la rue, la balaye ou la scrute. Donc, finalement, si je choisis d’arroser mes jardinières alors que Josie se trouve en dessous, je ne peux faire autrement que de la remarquer. Pourtant, c’est ce qui m’est arrivé samedi dernier entre mes vidangages d’arrosoirs dans mes lavandes.

Quelque chose semblait turlupiner Josie. Comme tout la turlupinait, tout était normal. Le bide en avant de ses cannes jaunâtres qui se terminaient dans des chaussettes tennis à rayures glissées dans des sandales allemandes brunâtres, ma voisine tournait dans la rue comme un lion dans une cage invisible. Elle semblait hésiter sur la direction à prendre. A moins qu’elle ne dansait la danse de saint Guy.

Soudain, elle se fige au milieu de la rue, cligne plusieurs fois des yeux, fait la moue et secoue la tête de droite à gauche comme si elle s’ébrouait, puis elle pointe son index en direction d’un jeune homme en combinaison de motard. Dans la main gauche, il tenait une paire de gants en cuir. Dans la droite, un casque intégral. Il se dirige vers la moto stationnée entre deux pots de fleurs que Josie pensait dissuasifs, indifférent à la gargouille qui le suivait du regard l’air mauvais. Le motard dépose son casque et les gants sur la selle de son bolide pour fouiller ses poches à la recherche de sa clé de contact quand Josie rugit: « Cassez-vous! Bougez cette moto de là! Vous ne pouvez pas rester là! » Le jeune homme au look de surfeur, imperturbable alors que j’ai failli lâcher mon arrosoir en entendant Josie, se tourne vers elle: «J’allais partir madame.» «Tout de suite! Vous ne pouvez pas rester là!», continue de tempêter ma voisine. «Je cherche mes clés, madame.» «Partez!»

Cette fois, le jeune homme ne répond pas. Il enfourche calmement son bolide. «Ne restez pas là, c’est interdit», enrage Josie. Elle est plantée à côté du jeune homme. «Je vais appeler la police. Ce n’est pas un endroit pour les motos ici.» Le motard revêt son casque, baisse la visière et prend son temps pour bien le sangler. Josie lui tourne autour en gesticulant et en répétant qu’il n’a pas le droit d’être là. «Dégage! Merde!», l’attaque-t-elle en lui indiquant la direction à suivre. Le jeune homme chevauche toujours sa moto. Il enfile un gant. Doigt après doigt semble-t-il, tant il prend son temps. Josie tremble de rage. Elle s’est reculée de quelques mètres, mais continue de fixer le motard de son regard mauvais. «Je ne le répéterai plus: bougez de là!» Le motard démarre sa moto. Les pétarades couvrent à peine les vociférations de Josie. Avec un flegme digne d’un sujet de sa majesté, il enfile tout doucement son deuxième gant. «Eteignez ce moteur! Le bruit est insupportable», lance Josie. «Il faudrait savoir ce que vous voulez», lui fait remarquer le jeune homme. «Que tu arrêtes de faire du bruit!», répond Josie. Le jeune homme coupe le contact. Le moteur se tait. Josie a l’air ennuyée. Elle refait la moue et se gratte le crâne de sa main jaune. Le motard attend sur sa moto. Il n’a pas l’air d’être pressé. Du tout.

Josie s’avance à nouveau vers lui en criant. «Partez, vous n’avez pas le droit de rester là!» «Non», répond le jeune homme posément. «Pourquoi non?» «Parce que pour partir, je dois allumer le moteur et vous allez me demander de l’éteindre parce qu’il fait trop de bruit», lui répond le motard. Camouflée derrière mes lavandes, je pouffe de rire. Josie est prise à son propre jeu. «Hein?» Elle semble perdue et refait le lion en cage. «Vous me faites chier!», hurle Josie. Elle se fige à nouveau au milieu de la rue et observe le motard.

Je vais vite remplir mon arrosoir. Quand je reviens, la scène n’a pas bougé. Je me demande lequel des deux va craquer le premier. Le duel commence à être long. Josie trépigne. Le motard fait mine de tourner la clé dans le démarreur. Josie fait un pas en avant, ouvre la bouche et se ravise. La moto ne bouge pas. Josie se gratte à nouveau la tête. Elle s’avance, hésite, recule, s’avance à nouveau, puis fait demi-tour, se dirige vers la maison et claque la porte avec véhémence derrière elle au point de faire trembler les murs.

Dans la foulée, j’entends claquer la béquille puis vrombir le moteur. Ultime provocation, le moteur appuie plusieurs fois sur le starter avant de tailler la route.


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