Je ne suis pas parisienne

Je ne suis pas parisienne. La parisienne me gêne et je vais vous expliquer pourquoi. Une parisienne me fait invariablement passer pour une bûcheronne mal léchée et mal dégrossie. Que je sois réellement mal fagotée ou tirée à quatre épingles, la parisienne est impitoyable. Avec la parisienne, on n’a pas droit à l’erreur!

La parisienne me gêne. Non, pas l’habitante de la plus belle ville du monde, celle-là j’eus le privilège de l’être. Non, je vous parle du sandwich. Vous savez, cet énorme en-cas constitué de couches successives de salade, de tomate, de jambon, de fromage et j’en passe, copieusement arrosées de mayonnaise entre deux moitiés de baguette.

La version franchouillarde du burger américain est une perversité en soi. Souvenez-vous de l’état dans lequel vous vous trouviez après en avoir mangé une! Certains sont comme le blond du sketch de Gad Elmaleh, mais la grande majorité est comme moi: crade, collante, énervée et toujours affamée. Oui, affamée, car après m’être débattue avec ma parisienne, j’abandonne le combat avant d’avoir des envies de meurtre envers le type devant moi à la boulangerie qui a acheté le dernier thon-mayonnaise. Monsieur est certainement propre, lui, à l’heure qu’il est! Tandis que moi, je me débarbouille avec un vieux mouchoir en papier qui traine au fond de mon sac depuis mon dernier rhume.

Manger une parisienne relève de l’équilibrisme et demande beaucoup de doigté. Il ne faut pas l’attaquer trop fort de peur de bousculer l’empilement précaire des strates qui le composent. A l’inverse, il faut le tenir assez fermement pour que l’oeuf ne glisse pas entre la tomate et le fromage et ne vienne pas s’écraser tout enrobé de mayonnaise sur vos genoux. Il faut également avoir de bonnes dents. Les porteurs de dentiers sont disqualifiés d’office. Car si vous n’êtes pas en mesure de trancher d’un coup sec le jambon, le fromage ou la salade, il arrive à votre parisienne la même chose qu’à une table dont on tirerait la nappe d’un coup sec en espérant que les couverts restent en place. ça ne marche jamais!

Mettons que vous soyez  assez habiles pour maintenir l’ensemble des couches en mode parallèle entre le pain, c’est le jus des tomates qui vous dégouline dangereusement le long des poignets en direction des manches de votre jolie blouse en soie. L’inventeur de ce sandwich était un gros dégueulasse qui devait avoir une sacrée dent contre la race humaine et les vêtements de marque.

Comble du raffinement, pour parvenir à l’attaquer, il faut ouvrir la bouche aussi grand qu’un phoque qui baille, au risque d’avoir une crampe et de rester figé dans cette position, de la mayonnaise et de la farine à la commissure des lèvres ou sur le bout du nez. Oui, de la farine. Celle qui décorait la baguette. Oula! N’y pensez même pas malheureux: essuyer votre bouche du revers du poignet! Bravo, vous en avez étalé partout!

Si vous comptiez séduire pendant votre pause déjeuner, c’est fichu. Il ne manquerait plus que le vent se lève et que vous deviez retenir vos cheveux avec vos mains toutes grasses. Je vous parle d’expérience. Vous voilà donc barbouillée, le rouge à lèvres bavant, de la farine jusque sur les joues, les mains collantes, les vêtements tachés et le cheveu gras. Tout le contraire d’une vraie parisienne.

Messieurs, vous non plus n’échappez pas à la malédiction de la parisienne (le sandwich). Vous en avez plein la moustache. La barbe! De la farine et des miettes partout. Un carnage boulanger.

Vous l’aurez compris, manger une parisienne est à vos risques et périls. Moi, je suis prête à en prendre en famille – ils savent que je ne pète pas que des paillettes – ou seule chez moi, sous trois tabliers et autant de bavoirs, les cheveux bien attachés, l’essuie-tout pas loi et la porte de la salle de bains grande ouverte.

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