Retour vers le futur

Cela faisait près de trois mois que Josie Maboul, notre folle voisine, était amnésique. Les habitants du quartier qui n’avaient rien de mieux à faire s’étaient lancés dans une croisade pour lui rendre la mémoire. Ils ne raffolaient pas de la nouvelle Josie. Elle était trop bien, trop lisse pour eux. Ils voulaient qu’on leur rende l’ancienne. L’excentrique. L’urticante. La folle. Celle qui les divertissait. Madame Raineth, une voisine pas fâchée que Josie se soit calmée, observait les tentatives des habitants du quartier d’un mauvais oeil. Elle ne souhaitait guère retrouver notre voisine et craignait que les autres dans leur acharnement ne finissent par la blesser ou pire… Celle que Josie surnommait la grenouille avant son amnésie avait tenté de calmer les esprits, mais les habitants du quartier étaient des coriaces. Ils s’amusaient de la situation. La grenouille décida de ne plus lâcher Josie d’une semelle, pensant ainsi la protéger des tentatives d’attentats ourdies par ses voisins, petits et grands.

Dame de (mauvaise) compagnie

Désormais, la grenouille accompagnait Josie faire ses courses, en promenade, à l’église ou sur la terrasse du Gimme Shelter. Ce petit manège dura quelques semaines. Josie ennuyait la grenouille avec sa politesse et ses platitudes. De plus, les piliers de comptoir du café du quartier se moquaient d’elle. Ils la traitaient de toutou de la vieille. Mais la grenouille ne pouvait raisonnablement pas laisser Josie seule. Les pots-de-fleurs s’abattaient toujours sur son passage et les gamins lui faisaient des croches-pattes. La compétition était lancée depuis plusieurs semaines: c’était à qui arriverait à faire revenir Josie. La grenouille n’aurait jamais cru que ces voisins mal-dégrossis pouvaient faire preuve d’autant d’imagination.

Un jour, la grenouille fut prise d’un ras-le-bol. Elle allait retrouver Josie en terrasse du Gimme Shelter pour prendre le thé avant de partir en promenade au parc quand elle aperçut deux adolescents qui badigeonnait les lignes blanches du passage pour piétons menant au parc avec du savon noir. «Bande d’idiots, vous voulez briser les cous de tout le quartier avec vos conneries?», leur lança-t-elle en traversant en dehors des clous. C’en était trop! «Il faut que cela cesse!», décida-t-elle, «Je ne peux quand même pas jouer les dames de compagnie et les garde-du-corps jusqu’à ce que quelqu’un finisse par tuer Josie! Vu comment ils sont doués, cela risque de durer. Je ne vais quand même pas faire le boulot à leur place? Si?»

Madame Raineth passa l’après-midi avec Josie. Toute la soirée et la partie de la nuit avant qu’elle ne prenne un somnifère, elle réfléchit à la possibilité de prendre les choses en mains pour faire retrouver la mémoire à Josie. Comment pouvait-elle s’y prendre pour y parvenir sans la blesser ou la tuer? Elle s’était déjà trop engagée dans cette affaire pour fermer les yeux et laisser faire jusqu’au drame.

Debout dans sa cuisine, son regard allait de la poêle à frire au couvercle de la casserole en fonte en passant par son rouleau à pâtisserie. Aucun des trois ustensils de cuisine ne parvint à la convaincre. Elle retourna au salon, se laissa tomber dans son fauteuil, alluma la télévision et une cigarette. Elle en tira une bouffée et posa la cigarette sur le bord du lourd cendrier en cristal placé sur la table basse devant elle. «Le cendrier! Non. Si je l’utilise, je vais lui fracasser le crâne.» Elle tire à nouveau sur sa cigarette. Ses yeux balayent tous les objets de la pièce. «Et si je lui brisais le vase de fleurs sur la tête? Non plus… Si cela ne marche pas, elle est capable de me dénoncer à la police. Pourquoi pas aller dénoncer tout le quartier? Si je fais cela, je suis bonne pour déménager. Je dois arrêter d’y penser. Un somnifère et au lit!»

On n’est jamais mieux servi que par soi-même

La trop courte nuit ne lui porta pas conseil. Dès son réveil, son esprit était occupé par Josie. Elle devait la retrouver dans deux heures pour la messe. «Il y a de beaux chandeliers à l’église…», pensa-t-elle avant de se raviser. Pendant l’office, elle reluquait la lourde Bible manipulée par le curé. «Peut-être pourrais-je faire passer cela pour un miracle?», se dit-elle, «Ils sont tous assez cons pour y croire.» Cependant le curé ne lui prêterait certainement pas son livre de chevet. Alors, après l’office, la grenouille suivit docilement Josie jusqu’au Gimme Shelter. Les deux femmes s’installèrent à leur table habituelle. La plus ensoleillée. Madame Raineth commanda une anisette et l’avala cul-sec.

– Hé bien, tu avais soif! Fais attention, c’est quand même de l’alcool, la prévient Josie.
– Il faisait plutôt sec dans l’église.
– Tout de même! Il aurait peut-être été plus prudent de commander un verre d’eau.
– Je n’ai pratiquement pas dormi cette nuit. Je suis fatiguée…
– J’ai passé une nuit excellente, la coupa Josie. D’ailleurs j’ai un sommeil de plomb. Rien ne peut me réveiller. Je me demande si cela a toujours été le cas? Je ne pense pas. J’ai trouvé pas mal de calmants et de somnifères dans ma pharmacie. Mais j’y pense: j’ai aussi retrouvé des bouteilles d’alcool chez moi. Je ne bois pas, alors si tu veux, tu n’as qu’à venir les chercher puisque tu as l’air d’aimer boire un verre de temps à autre. Oh mais, suis-je tête en l’air! Je vais te donner mes boîtes de somnifères. Il ne faudra pas les mélanger avec de l’alcool. Il parait que ce n’est pas très conseillé.

Josie ne se taisait plus. Elle ne remarquait pas que son interlocutrice écumait. «Mais tu vas te taire?!», pensait Madame Raineth. Josie décortiquait à présent le prêche du curé. Madame Raineth commanda une deuxième anisette. Elle sentait la nervosité monter en elle. Josie parlait des fleurs et des plantes du parc. Les mêmes phrases, mot-à-mot, que d’habitude. Strictement rien de neuf. Madame Raineth les connaissait par coeur. Elle aurait pu les prononcer avant Josie. Chris déposa l’anisette devant elle, puis s’occupa de la table d’à-côté. Les clients voulaient payer l’addition. Chris qui n’avait pas assez de monnaie, posa son plateau sur la table devant Josie et Madame Raineth avant de rentrer dans son établissement chercher de la monnaie. Josie parlait toujours. De la météo. Il faisait beau et elles avaient de la chance de pouvoir en profiter…

Prise d’une pulsion, Madame Raineth se saisit du plateau de Chris et d’un smash digne d’un numéro un mondial de tennis, elle l’abbatit sur la tête de Josie qui tomba à la renverse, puis dans les pommes. Madame Raineth ne croyait pas avoir fait ce qu’elle venait de faire. Josie gisait au sol, inanimée. Les gens l’observaient. Josie ouvrit un oeil; puis le second. Elle les darda sur Madame Raineth. Personne ne bronchait. Josie se redressa. Son visage avait changé. Elle regarda autour d’elle en se grattant la tête.

– La grenouille! Qu’est-ce qu’on fout sur cette fichue terasse? Tu m’as fait picoler ou quoi? J’ai mal à la tête. Pourquoi vous me regardez comme ça? Allez, je rentre chez moi. Au moins je n’y verai pas vos gueules d’abrutis. Et toi, la grenouille, sois gentille et disparais de ma vue quelques temps. Je ne sais pas pourquoi, mais je t’ai assez vue.

C’est ainsi que Josie a retrouvé la mémoire. Le soir même, la nouvelle avait fait le tour du quartier. Les voisins qui n’avaient rien d’autre à faire se sont réunis sous ses fenêtres en espérant qu’elle se montrerait et rouspéterait un bon coup après eux. Ils n’ont pas été déçus: Josie Maboul était bel et bien de retour.


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