Anti-douleur et vieilles dentelles

Alcoolique et homophobe, c’étaient les mots préférés de Frank pour décrire Josie. Loin devant vieille ou folle et la combinaison des deux, vieille folle. Pour moi, elle était juste folle et seule, avec tout ce que cela englobait. Je devais pourtant bientôt devoir reconnaître que Frank n’avait pas tout-à-fait tord.

Un matin, en partant travailler, je trouvais la porte de Josie béante. Ce n’était pas la première fois. Je lui avais déjà demandé de la fermer pour éviter que mon matou ou un voleur ne s’introduise dans son appartement. Elle me répondait qu’elle n’avait rien à voler et que si la police voulait bien faire son travail correctement, nous pourrions tous laisser nos portes ouvertes sans crainte. Ce matin là, comme à chaque fois, je me contentais de coincer le paillasson entre la porte et le chambranle pour que Josie ne se retrouve pas enfermée dehors, comme on dit. Je continuais ma descente d’escaliers, bien. Dans le long couloir qui donnait sur la rue, je trouvais le petit corps de Josie ratatiné et immobile allongé au sol.

J’accourais vers elle en répétant son nom. Elle ne bougeait pas et était silencieuse. J’ai pensé qu’elle avait dû glisser sur un des paillassons dont elle tapissait le couloir en hiver. Je n’osais pas la toucher. Penchée au dessus d’elle, je remarquais sa poitrine qui montait et descendait doucement. Elle n’était pas morte. Pourtant, qu’est-ce qu’elle puait! Je l’enjambais et me décidais à la secouer légèrement du plat de la main. Ce faisant, de l’autre main, je cherchais mon téléphone au fond de ma besace et j’appelais Frank à la rescousse.

Quand il est arrivé, j’étais en ligne avec les secours. Un mélange de surprise et d’inquiétude se lisait sur son visage. Il me balbutia un «Elle est morte?» pas très rassuré. Je lui fis non de la tête. En attendant l’ambulance, nous avons imaginé tous les scénarios de chute possibles. Pour Frank, son alcoolisme ne faisait plus aucun doute. Il l’avait flairé. Les pompiers le lui ont d’ailleurs confirmé une bonne dizaine de fois.

Traumatisme crânien

Ne sachant pas qui prévenir, nous avons décidé de suivre l’ambulance jusqu’à l’hôpital. Là, nous avons attendu plus d’une heure avant qu’un médecin ne vienne nous trouver. «Nous allons devoir la garder en observation au moins un ou deux jours. Elle n’a toujours pas repris connaissance. Elle a bu plus que de raison. En tombant, elle s’est cogné la tête et foulé le poignet. Vous la connaissez bien?» «Oui, enfin non. Nous sommes ses voisins. Nous ne savions pas que… Etes-vous sûr qu’elle est coutumière de la bouteille? C’était peut-être un coup comme ça pour fêter ou pour oublier quelque chose.» «Je ne sais pas. De la famille à prévenir ?» Bonne question.

Frank et moi avons regagné la maison pour fermer son appartement et lui préparer un sac de vêtements propres que nous porterions à l’hôpital pour quand elle se réveillerait. Nous espérions également trouver le numéro d’une personne à contacter en cas de problème. En poussant la porte de son appartement, nous avons découvert un endroit vieillot, une maison de vieille poupée sentant la naphtaline et les plastiques anciens. L’atmosphère était sépia comme les portraits aux murs. Des napperons en crochet recouvraient les têtières et accoudoirs du canapé et des fauteuils, la table basse, la télévision. De lourds rideaux en velours cognac doublés de mousseline chair laissaient à peine passer la lumière blanche de midi. Sur la table en formica de la cuisine, un mic-mac de journaux, de courrier, de bouts de papiers et de prospectus.

Après avoir observé tout cela en silence et avec une certaine émotion de pouvoir approcher le monde de Josie, nous nous sommes dirigés vers sa chambre. Un petit lit était recouvert d’un plaid en patchwork vert. Les murs étaient tapissés de grosses fleurs jaunes. De la tapisserie vintage! Quand j’ai emménagé, je me serais damnée pour avoir un rouleau de tapisserie d’époque. Maintenant, je le trouvais désuet et triste. A gauche du lit, une coiffeuse sur laquelle trônait un soliflore en faux Crystal dans lequel reposait une rose en plastique. A droite, à moitié obstrué par la porte, une petite armoire dont l’intérieur était tapissé de papier à motifs de boutons de violettes. J’ai pris au hasard, une jupe, un petit pull en laine, un long gilet, des collants, un manteau et une paire de chaussures. Dans la salle de bains, nous avons trouvé son nécessaire de toilette.

Nous avons porté tout cela à l’hôpital et avons demandé que l’on nous appelle si besoin. Nous n’avions trouvé aucun numéro et cette visite nous avait attendris. Avions-nous bien fait de lui rendre service? Elle est rentrée chez elle en taxi trois jours plus tard.


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