Sympathy for the devil

full-moonJosie s’essayait au vaudou pour écraser le Gimme Shelter. Nous avions découvert des indices de ses pratiques dans les poubelles communes et le fait de la savoir jouant avec le feu ne me laissait pas tranquille. Des effluves de plantes médicinales brûlées embaumaient les couloirs de notre maison depuis quelques semaines. Le Viking et Franck, eux, se marraient en imitant ma voisine invoquant les esprits ou damnant la descendance de Chris sur dix générations. «Elle va finir par mériter son surnom de sorcière», a lancé Franck. «Un zombie qui pratique le vaudou…», le Viking ne parvenait pas à terminer sa phrase de rire. Je les regardais se taper les cuisses, mais n’empêche que ces deux-là avaient peur de croiser Josie dans la maison. «Si j’étais vous, je ne me moquerais pas trop d’elle. Elle peut vous transformer en crapauds», leur ai-je répondu. Deux paires d’yeux ronds se braquèrent sur moi. Ils ne riaient plus du tout. Je crois qu’ils n’avaient pas encore envisagé cette possibilité.

Pour le moment, ses cérémonies vaudou étaient sans effet. Le Gimme Shelter n’avait pas encore été envahi par la vermine, ni englouti par le sol ou touché par la foudre. Chris et Zoltan n’étaient pas pris de douleurs étranges ou transformés en petits animaux. Mais Josie devait manger du poulet à tous les repas et finirait par s’intoxiquer avec la fumée des plantes qu’elle brûlait lors d’incantations quotidiennes. Ma voisine n’était certainement pas Marie Laveau, bien qu’elle était terrifiante à sa façon.

Garnements et chipie que nous étions, nous avons décidé de jouer un tour à notre grande prêtresse vaudou pour la dissuader de taquiner les forces obscures. Un soir, alors que Josie invoquait je ne sais quel démon haïtien en fixant de son regard torve un bol en bois dans lequel faisandait une tête de poulet recouverte d’herbes de Provence, quelqu’un ou plutôt quelque chose frappa à sa fenêtre. Elle sursauta et s’approcha doucement de la vitre embuée par le froid du début d’hiver. Un message y avait été inscrit: «Rendez-vous au cimetière à la pleine Lune à minuit». Josie s’imagina que ses efforts avaient porté leurs fruits et couru fouiller le tiroir de son bureau à la recherche d’une éphéméride pour connaître la date de la prochaine pleine Lune. C’était dans neuf jours.  «Viens!», souffla une voix féminine, alors qu’elle balançait le contenu du bol à la poubelle.

«Viens!», la voix féminine continua de hanter Josie jusqu’au soir de la pleine Lune. Un nouveau message lui parvint la veille du rendez-vous: «Apporte une bouteille de whisky et trois cigares!» Josie pensa que c’étaient des offrandes au démon qui acceptait de l’aider.

Minuit dans le jardin du bien et du mal

La nuit était venue. Fébrile, car – contrairement à ce qu’on pensait dans le quartier – elle n’avait jamais rencontré de démon de sa vie, elle avançait à petits pas en direction du cimetière en sursautant au moindre bruit. Elle poussa la porte qui grinça. «Viens!», la voix féminine souffla à nouveau à son oreille. Josie essaya d’en deviner la provenance pour s’orienter entre les tombes. Au fond du cimetière, là où se trouvait la sépulture la plus imposante et la plus ancienne, Josie pouvait distinguer un halo bleu pâle s’élever vers le grand arbre juste derrière. Elle frissonna et avança à travers les travées.

img_2643Un chat surgit de derrière une tombe et posa sur Josie un regard de sphinx. La Lune se reflétait dans les yeux de l’animal qui semblait lui dire «Viens!». Josie suivit le chat qui trottinait vers la partie la plus ancienne du cimetière. Arrivé en son centre, il alla se blottir contre une grande silhouette noire qui semblait sortir d’une tombe baignée par une brume bleutée. La silhouette était immobile, des mèches blanches s’échappaient d’une grande capuche qui plongeait son visage dans l’obscurité. Josie s’approcha doucement pour déposer le panier d’offrandes aux pieds de ce spectre phosphorescent. Il émettait un halo bleu pâle et les pans de sa longue robe crasseuse flottaient au vent d’hiver. Le démon était une femme, pensa Josie. L’apparition était immobile. Le chat, n’obtenant pas de caresses de sa part, s’était assis à ses pieds et observait Josie de son regard perçant.

Elle ne savait comment se comporter face à un démon ou à une divinité vaudou. Elle tenta toutefois un timide : « Je suis là ! ». La silhouette tourna doucement se tête vers elle. Dessous la capuche, Josie vit se dessiner deux iris blancs menaçants. « Tais-toi ! », lui asséna une voix d’outre-tombe qui fit tressaillir le chat. Puis la voix se fit plus douce, un souffle, comme celle qui la hantait ces derniers jours. «Tu as utilisé la magie noire pour m’invoquer. Me voici. Je ne pouvais apparaître dans ta maison. Trop d’ondes positives.» Josie tomba à genoux devant la silhouette et fit machinalement un signe de croix. «Hérésie!», hurla l’apparition en pointant un doigt accusateur vers Josie. Le chat cracha en sa direction. «Veux-tu que je disparaisse? Qui t’aidera à exhausser tes prières si je m’en vais? Ton Dieu que tu viens de signer est resté sourd à tes prières d’horrible bonne femme», poursuivit l’apparition et de se radoucir, «Merci pour tes offrandes, mais elles ne seront pas suffisantes si tu veux que je t’aide. Tu vas devoir prouver ta fidélité à mon père, le Seigneur des ténèbres, et montrer que tu es digne de le servir.» Josie acquiesça de la tête. «Pendant une semaine, tu vas te maquiller le visage en blanc et les yeux en noir. Tu trouveras le maquillage à la sortie du cimetière. Dans sept jours, tu devras éteindre les cierges de l’église avant l’office. Le dixième jour à compter d’aujourd’hui, tu noteras ton désir sur une feuille que tu plieras en sept. Tu la posera sur cette tombe sous ce galet rond là-bas (l’apparition le désigna de la tête) sur lequel tu auras dessiné un pentgramme avec du sang de poulet égorgé. Ensuite seulement, j’exhausserai ton désir.» «Bien Madame…», dit Josie en esquissant une espèce de révérence maladroite. «Tais-toi et maintenant disparais sans te retourner ou tu seras maudite! Le comprends-tu? » Josie ouvrit la bouche pour répondre. «Tais-toi, vermine !», assena la silhouette, furieuse.

Josie regagna le portique du cimetière en marchant le plus vite possible. Elle était terrorisée. Qu’avait-elle fait? Et qu’allait-elle bien pouvoir faire? Elle voulait que le Gimme Shelter disparaisse, mais elle n’était pas prête à vendre son âme à la fille du diable pour cela. Elle rentra chez elle en emportant le maquillage et la pierre.

La nuit des morts de rire

En haut du cimetière, Franck et le Viking sortirent hilares de derrière une sépulture. Le Viking me tendit une veste chaude. Je commençais à me les geler, perchée sur une pierre tombale battue par le vent, et avec mes lentilles phosphorescentes, je n’y voyais pas grand chose. Frank alla éteindre la machine à faire de la fumée qu’il avait empruntée à un ami régisseur de plateau à la télévision. Elle n’avait plus servie depuis les années 1980, mais elle avait fait son petit effet. Il fit de même avec le spot de lumière noire et les LEDs bleutés dissimulés sous la fumée qui activaient le spray phosphorescent dont j’avais enduit ma cape. Même mon matou avait joué son rôle à merveille. Il avait bien mérité de se blottir au chaud sous mon manteau. Tout comme nous avions bien mérité un cigare et une goutte de whisky.

  • Tu étais terrifiante. Es-tu certaine de ne pas être un peu sorcière, ma chérie ?, me demanda Franck.
  • Ce petit gadget pour enfants fait des miracles en changeant les voix. Et puis, le froid me rend agressive, répondis-je.
  • En tout cas, ma sorcière bien aimée, Josie n’est pas prête à se remettre à invoquer des esprits, assura le Viking.
  • Elle a une telle envie de supprimer le Gimme Shelter que cela ne me surprendrait pas si elle m’obéissait, assuré-je.
  • Pour l’instant, Tchin !

Trois gallopins trinquèrent en riant à réveiller les morts sous la pleine Lune qui éclairait le cimetière. Mon matou chassait les feu follets qui s’échappaient d’une tombe fraichement creusée.

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