It’s only rock’n’roll but I like it

Josie avait rencontré un étrange spectre qui se présentait comme la fille du Diable, lors d’une nuit de pleine Lune. Elle lui avait promis de l’aider à détruire le Gimme Shelter, le bar voisin qui l’empêchait de dormir. Quelques semaines auparavant, se sentant abandonnée de tous, Josie avait tenté d’avoir recours à la magie noire en pratiquant le vaudou. Ses incantations avaient, croyait-elle, été entendues par le spectre.

Le visage peint en blanc et les yeux cernés de noir dégoulinant, Josie arpentait la rue le plus discrètement possible. Elle avait finalement choisi d’obéir au spectre du cimetière. Se promener pendant une semaine maquillée en zombie était un sacrifice bien sage face à la promesse de nuits calmes. Certes, elle avait un peu honte de sortir de chez elle ainsi, mais c’était mieux que de vendre son âme au Diable ou à tout autre démon pervers. La journée, elle masquait ses yeux avec de grandes lunettes de soleil démodées, à la Jackie Kennedy qui lui mangeaient la moitié du visage. Elle ne les avait plus mises depuis la fin des années 1970. Garder des vieilleries avait parfois du bon, se dit-elle. Elle avait enfoncé un bob beige sur sa tignasse désordonnée et relevait le col de son imperméable d’homme.

fullsizerender-3Franck, le Viking et moi riions sous cape, car nous étions responsables de son accoutrement. J’étais le spectre. Grâce à une série de gadgets et de beaucoup de jugeote, nous étions parvenus à lui faire croire en son existence. Josie devait se promener ainsi grimée pendant une semaine. Tiendrait-elle le coup? Oui. Son désir de voir disparaître le Gimme Shelter était plus fort que la peur de l’humiliation. Elle s’était même habitué au maquillage puisque le huitième jour, c’est peinturlurée en membre du groupe Kiss qu’elle s’introduisit dans l’église du quartier une heure avant l’office du soir. Mes complices et moi, nous étions postés dans la vitrine d’un petit troquet situé en face de l’édifice religieux voué à Saint Thomas.

Josie ressortit de l’église un quart d’heure plus tard, poursuivie par le curé qui brandissait un cierge énorme et un crucifix. « Reviens ici mécréante ! Tu vas voir si je t’attrape, la pénitence va être gratinée », menaçait le curé. Josie se retournait de temps à autre pour tirer au visage du curé avec un fusil à eau. La voie étant libre, le Viking et moi avons quitté notre poste d’observation pour aller vérifier si Josie avait bien effectué sa mission. Il faisait sombre et les dalles de la petite église étaient trempées. Josie avait dû asperger les bougies et les cierges d’eau bénite pour aller plus vite. Mission accomplie.

Dans trois jours, si le curé ne l’enfermait pas dans la crypte pour faire pénitence, ma voisine allait déposer son souhait sous la pierre ronde au cimetière. Notre supercherie prendrait alors fin. Franck et moi n’en avions pas vraiment envie. Le Viking tentait de nous résonner : ajouter des épreuves serait humiliant et cruel. Nous estimions que depuis le temps qu’elle nous enquiquinait, nous avions bien le droit de la faire courir encore un peu. Juste une dernière blague. J’essayais de soudoyer le Viking avec une soyeuse promesse pour qu’il accepte de faire une entorse à notre plan de départ, mais il resta intransigeant, m’accusant même de prendre mon rôle de diablesse trop au sérieux.

« Viens à la prochaine pleine Lune ! » La voix murmura à l’oreille de Josie pendant qu’elle passait le balai au pied de l’escalier qui menait aux étages de la maison. Elle allait encore devoir patienter pendant deux semaines avant de connaître la réponse du spectre. Les jours ne passaient pas assez vite. Josie ressemblait à une gamine à l’approche de Noël.

Moon is up

Le soir venu, elle retrouva le spectre sous le grand arbre comme lors de la précédente rencontre. Sous la capuche du spectre, elle vit luire deux amendes incandescentes. Pas de lumière bleue, ni de brouillard cette fois. Juste une ombre immobile et menaçante. « Je suis allée visiter le lieu de perdition que tu veux détruire. Ce fût très instructif, il y a avait une fête de tous les diables », annonça le spectre d’une voix d’outre-tombe, « Je vais sans doute te décevoir mais je ne vais pas pouvoir accéder à ta demande. Je ne peux pas me permettre de détruire un endroit qui célèbre une musique que le diable a inspiré. » Josie n’en croyait pas ses oreilles : tout ça pour ça ?

  • « Vous n’allez pas m’abandonner tout-de-même ? J’ai fait tout ce que vous m’avez demandé ! »
  • « Cesse tes jérémiades ! Je ne t’ai pas fait signer de pacte non plus ! Je n’ai aucune obligation envers toi. »
  • « Vous n’aimez quand-même pas ce boucan ? »
  • « Il est d’enfer ! »
  • « Faites un effort… » Josie tombe à genoux et tend un bras vers le spectre, comme pour lui faire l’aumône.
  • « Non ! Robert Johnson, la gamme pentatonique, The Number of the Beast… Hors de question ! Et maintenant disparais créature qui ose critiquer le rock ! Hors de ma vie ou je te condamne à entendre ‘Hell’s Bells’ d’AC/DC une fois par heure pour l’éternité ! »

Josie ne connaissait pas cette chose dont le spectre venait de lui parler mais elle préféra prendre ses jambes à son cou avant qu’elle ne mette sa menace à exécution. Ma voisine avait de nouveau raté son coup. « Mais quelle c**** ! » Josie venait de réaliser… Pour les raisons pour lesquelles elle voulait sa perte, le diable ne pouvait qu’aimer le Gimme Shelter.

Déçue, elle ne pouvait cependant pas s’empêcher de se rendre au cimetière les soirs de pleine Lune quand je passais devant sa porte d’entrée ou dans la cour en murmurant «Viens!».

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