Josie m’a blesser

Le Viking avait choisi de regagner sa Scandinavie en me laissant seule sur quai, les yeux pleins d’eau. J’avais perdu le nord et flottais malgré mon cœur lourd dans une brume grise et sombre. L’absence du Viking était difficile à vivre. Finis ses messages au réveil. Fini mon nez dans sa nuque. Finies ses mains sur ma peau. Finie notre belle complicité. Je subissais cette torture de penser à lui malgré moi. Des souvenirs qui me renvoyaient illico seule sur le quai, les yeux pleins d’eau.

Les vendredis soirs, nous ne fêtions plus le début du week-end ensemble. Je me recroquevillais désormais au fond de mon canapé sur lequel nous nous étions tant étreint et comptais sur Netflix pour me changer les idées. Et puis, le troisième vendredi soir, on sonna à ma porte quelques minutes après l’heure à laquelle il avait l’habitude de me rejoindre. Pas le temps de m’emballer, d’espérer, derrière la porte, j’entendais déjà la voix de Josie qui s’impatientait: «C’est moi, j’ai du courrier pour toi. J’ai croisé le facteur ce matin.» J’entrouvrais la porte pour me saisir de l’enveloppe. Josie était déjà dans l’entrebaillement à se tordre le cou pour tenter de voir dans l’appartement par dessus et par dessous mon épaule. Je la remerciais et lui claquais la porte au nez.

Le vendredi soir suivant, je me préparais un plateau télé quand, comme la semaine précédente, on sonna à ma porte peu avant 19 heures. Cela ne pouvait être que Josie et je n’avais aucune envie d’aller lui ouvrir. Comme la semaine passée, elle allait sans doute me donner une brochure publicitaire prétexte à faire sa curieuse. Elle avait dû remarquer que le Viking ne venait plus et, c’était plus fort qu’elle, elle devait en avoir le cœur net. Sinon pourquoi venait-elle m’apporter en urgence des brochures publicitaires?

Le lendemain matin, alors que je sortais pour faire des courses, je trouvais une publicité qui m’était adressée, sur mon palier. Une rage sourde monta en moi. Mes paupières se mouillèrent. Je jetais la brochure dans la poubelle de Josie au passage.

Son nom est Maboul, Josie Maboul

Josie avait déjà appliqué cette technique par le passé, quand elle n’avait pas vu le Viking pendant deux semaines de suite. J’avais mis du temps à comprendre. Elle était aussi futée qu’un agent du MI6 et méritait son double zéro pour sa conduite. Chaque vendredi soir, elle rentrait les poubelles à l’heure à laquelle il arrivait. Elle était aux premières loges pour voir sa silhouette virile et sexy (je me fais du mal là) se découper au bout de la rue. Comme, comme moi, elle ne la voyait plus, elle avait dû gamberger. Plutôt que de m’interpeller à ce sujet, elle préférait fouiner. Quand elle me croisait, elle préférait me lancer son regard de dingue, chargé de haine, parce que j’avais refusé de signer sa dernière pétition contre le Gimme Shelter ou parce qu’elle m’avait vu discuter avec quelqu’un qu’elle n’encadrait pas.

Le troisième vendredi soir, elle a remis ça. Sauf que cette fois, elle avait glissé un prospectus sous ma porte après avoir sonné. Je le laissais là, à moitié chez moi, à moitié sur le palier pour ne pas lui donner la satisfaction de lui montrer que je l’avais vu. La rage sourde m’envahissait à nouveau. J’avais envie de crier, de cogner. Pas une minute, je ne m’imaginais que ses intentions pouvaient être bonnes. Elle cherchait à me torturer et à se repaître de ma douleur. Elle se réjouissait sans doute de ne plus être la seule personne triste dans notre maison. Je serrais les poings et laissait échapper un sanglot.

Elle avait beau paraître de plus en plus folle, elle gardait, toutefois semblait-il, une logique imparable quand il s’agissait d’emmerder son monde. Sauf que là, elle me blessait plus qu’elle ne m’emmerdait. J’essayais de me dépêtrer de ce chagrin d’amour sans avoir de mode d’emploi pour y arriver et Josie en profitait cruellement en jouant avec mon insécurité par portes interposées.

Le temps tourne à l’orage

Le quatrième vendredi soir, elle ne sonna pas, mais peu avant 19 heures, j’entendais quelqu’un se mouvoir sur mon palier. S’était-elle ravisée ou avait-elle changé de tactique? Je penchais pour la deuxième option. Elle devait écouter derrière la porte. Un grand classique de son manuel de la parfaite espionne. Je bouillonnais, j’avais envie de lui hurler dessus combien elle était immonde, de décharger ma haine, ma frustration, ma tristesse et mon impuissance. Mais cela aurait été lui donner satisfaction, donc je retournais me blottir dans mon canapé en serrant très fort la peluche que le Viking m’avait offerte avant de balancer la pauvre innocente à travers la pièce et de m’allumer une cigarette.

Le lendemain, je trouvais un thermomètre jaune d’une vingtaine de centimètres de long sur mon palier. Il était fendu en deux et agrémenté d’un Post-it sur lequel, j’identifiais l’écriture de ma voisine: «Est tombé sur ma terrasse à cause du vent.» Et alors? Je le laissais trainer où elle l’avait déposé, convaincue d’avoir déjà vu l’objet au milieu de la décharge d’ordures qu’était ce qu’elle considérait comme sa terrasse. Soit elle était complètement folle ou elle ambitionnait réellement de me faire douter de ma santé mentale. En tout cas, elle avait trouvé un nouveau prétexte pour venir m’épier. «Et oui, je suis seule! Et oui, le Viking est parti! Et oui, il ne m’aimait pas assez pour rester! Et oui, je suis triste!» Je le pensais si fort que je faillis dégonder la porte en la claquant derrière moi et fonçais avaler un double scotch au Gimme Shelter et vomir ce qu’elle me faisait subir.

Elle continua quelques fois encore, puis se lassa, mais elle me lançait un regard défiant et moqueur, rempli d’une satisfaction sous-jacente, quand il lui arrivait de me croiser.

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