La parabole de la chaussette perdue

Noël est après-demain. Vos grandes chaussettes sont bien accrochées à la cheminée ou à une guirlande lumineuse. Moi, je cherche la mienne. Plutôt une des miennes, car les chaussette vont en général par paire quand il ne s’agit pas de ces grandes choses kitchissimes qu’on ne ressort heureusement qu’une fois par an pour y glisser des cadeaux et des sucres d’orge. Pas moi, moi, je n’aime pas Noël et puis, j’ai autre chose à faire: chercher ma chaussette perdue!

Mon fantôme maison prétend ne pas être responsable de sa disparition. A l’entendre, ce n’est jamais de sa faute. Mais comment se fait-il que certaines réapparaissent après un certain temps? Des chaussettes sont-elles plus indépendantes que d’autres et décident-elles de tracer la route seules? Ou bien est-il possible que des chaussettes ne sachent pas se sentir? L’une finirait alors par divorcer de l’autre.

Partant de ces deux postulats, je décidais d’interroger la chaussette restante. Une chaussette noire avec des oreilles de chats et des moustaches brodées au fil doré de part et d’autre d’un coeur brodé en doré lui aussi, parfaitement identique à la chaussette perdue. Malheureusement, le chat avait perdu sa langue. Même la menace de la porter dans mes vieilles baskets puantes ne l’incita pas à me dire où était passée sa jumelle. Elle restait affalée sur mon couvre-lit, sans bouger, ni parler. Je ne risquais pas de la perdre, celle-là!

Peu importe ce qui les avait séparées, je me fis la promesse de les réunir. Avec ses moustaches et ses oreilles de chat, elle ne ferait jamais la paire avec une autre chaussette noire. J’en avais d’autres dans mon tiroir à chaussettes qui attendaient le retour de leur jumelle, mais aucune n’irait avec ma chaussette-chat. Un jour, manque de signe de vie de sa compagne, je devrai la jeter pour faire de la place alors qu’elle n’aura été portée qu’une fois. Pauvre petite chaussette abandonnée…

…qui a vécu sans se retourner*…

Où pouvait bien se trouver cette fichue deuxième chaussette? Elle n’était pas au fond de mon panier à linge sale, ni dans mon sac à linge. Elle ne traine pas non plus derrière le radiateur de la salle-de-bain où derrière un meuble. J’ai vérifié. J’ai même regardé sous le lit et sous le canapé: pas de chaussette perdue, mais un boîtier vide de DVD (où est le DVD?) et un slip rose fluo. Oui, j’ai un slip rose fluo. J’en ai même un avec la tête d’Animal, le batteur des Muppets dessus. Mais cela nous éloigne de ma chaussette perdue.

«Tu crois qu’en me rendant un slip rose fluo disparu, je vais oublier que tu m’as chipé une chaussette-chat?», lançais-je, intrépide, au fantôme cleptomane qui partageait mon appartement. Même pas peur! Pas de réponse. «Merci quand même!», dis-je en balançant le slip dans le panier à linge. Je n’étais guère plus avancée. La chaussette n’était nulle part. J’avais bien vérifié le tambour de la machine-à-laver avant d’en transbahuter le contenu dans le sèche-linge et j’avais bien vérifié le tambour du sèche-linge après avoir versé son contenu dans le panier. Aucune chaussette perdue ne s’y trouvait.

Elle avait disparu comme 87 millions de ses congénères chaque mois en France (selon une étude menée par des chercheurs anglais). Se faire la malle serait-donc une deuxième nature chez la chaussette? A moins qu’elles ne servent d’encas à des machines-à-laver gourmandes? Impossible, il n’y a guère qu’un enfant à l’imagination débordante pour croire qu’une chaussette puisse fuguer avec un baluchon sur l’épaule ou que le tambour de la machine-à-laver soit une grande bouche sombre et goulue. J’avais perdu la chaussette. Il n’y avait pas d’autre explication rationnelle possible. Mais où?

Une chaussette vous manque et tout est dépeuplé

N’empêche, c’est dingue à quelle vitesse un cerveau peut basculer du rationnel à l’irrationnel à cause d’une chaussette! Comme si elle pouvait avoir des désirs, une pensée et une volonté propres ou le moral dans les chaussettes: «ça sent pas bon ici, je me casse!» ou «J’ai un mauvais karma, j’aurais dû être un bas de soie». A moins de croire en l’animisme ou d’avoir regardé la Belle et la Bête de Disney au premier degré, c’était impossible.

Sa jumelle n’avait toujours pas bougé de mon lit. Elle était sidérée, la pauvre. Elle venait de se faire larguer comme une vieille chaussette, comme ça, sans prévenir, sans raison apparente. Si elle avait eu des yeux au lieu des moustaches, elle aurait certainement pleuré, raplapla comme elle était. Pour lui réchauffer le cœur et lui regonfler son égo, je décidais de l’enfiler. La pauvre avait perdu sa moitié. Je compatissais. A ma dernière rupture, j’ai eu l’impression de perdre un bras. Au moins. La chaussette restante devait se sentir utile et aimée.

Et puis, un soir d’insomnie (je pensais trop à mon bras perdu) où je trainais sur le web, je tombais sur un article portant sur les chaussettes perdues. Euréka! La vérité sortait bien de la bouche des enfants: les tambours de machines-à-laver les avalaient bien! Elles glissaient sous le joint et atterrissaient sous le tambour où elles étaient emprisonnées jusqu’à ce qu’on vienne les délivrer. Tout n’était pas perdu! Ma chaussette-chat avait peut-être subi le même sort. Manchotte comme j’étais, je fis appel à un bricoleur hors pair, mon papa. Merci papa! En deux temps, trois mouvements, il récupérait la chaussette perdue et quelques copines.

Les deux chaussettes-chat refaisaient la paire. Les veinardes! J’ai eu beau chercher tout au fond de la machine, je n’ai pas retrouvé mon bras. Le fantôme maison ne savait pas non plus où il était. Il me suggéra de vérifier sous le canapé, sous le lit et dans le placard…

*les fans de Johnny auront reconnu l’hommage. Pour les autres, écoutez «Le chanteur abandonné».

Un commentaire