Bouge de là!

  • fullsizerenderBouge ta voiture! Tu n’as pas le droit de stationner ici.
  • J’en ai pour deux minutes.
  • Bouge ta voiture!
  • C’est absurde, il est 11 heures du soir.
  • Bouge ta voiture!, Josie gueule sur la pauvre voisine comme si elle allait l’étriper.
  • Va te pendre!, lui suggère la jeune fille.
  • Bouge ta voiture! Josie s’égosille.
  • Tu ne fais que chercher la merde à tout le monde.
  • Tu es de la merde.
  • Va te pendre!

Une porte claque. Il est passé 23 heures et tout était calme dans le quartier jusqu’à ce que Josie fasse sa loi. Ses cris ont rameuté les voisins et ça discute: la gifle n’aura pas fait effet longtemps. Josie a à nouveau rompu la quiétude qui enveloppait le quartier depuis la nuit tombée. Je sens encore l’onde de choc qui a traversé notre vieille bâtisse quand Josie en a claqué la porte d’entrée.

La tolérance de Josie pour les voitures stationnées à la va-vite au pied de notre maison se rapprochait de plus en plus de zéro. Même pour quelques secondes, pour déposer les courses, il n’était plus permis de s’arrêter devant la maison. Le matin de l’altercation avec la jeune voisine, je m’étais fait apostropher par la vieille gargouille qui dans sa rage ne m’avait pas reconnu au volant de ma décapotable. La même depuis des années pourtant. La voiture et moi.

« Madame, il ne faut pas rester là! »

J’étais en route pour une virée quand je me suis aperçue que j’avais oublié mes lunettes de soleil. Au premier croisement j’avais fait demi-tour et m’apprêtais à stationner la voiture devant la maison quand la porte d’entrée s’ouvrit et qu’apparut une Josie dans toute sa splendeur matinale. Elle n’était pas du matin, c’était certain.

  • Madame, il ne faut pas rester là, m’attaqua-t-elle avec un ton qui si je ne l’avais pas connue aurait éveillé en moi de la terreur. Si vous restez, j’appelle la police.
  • Josie, c’est moi ! Face à cette violence, je sortais le drapeau blanc.
  • Ah oui…, réalisait-elle. Cela vaut pour toi aussi.
  • J’ai oublié mes lunettes, me justifiais-je, encore glacée par son ton.
  • Je vais te les chercher si tu bouges ta voiture de là.
  • C’est totalement idiot. Si tu ne me retenais pas pour rien, j’aurais déjà eu le temps de récupérer mes lunettes de soleil et de repartir.
  • Va stationner ta voiture ailleurs. Tu viendras récupérer tes affaires après. Il n’est pas question que je fasse exception pour toi.

J’avais déjà enlevé les clés du compteur et claqué la portière de la voiture quand elle finit sa phrase. Je passais devant elle d’un pas ferme et décidé, la laissant s’énerver au beau milieu de la rue. Une minute plus tard, je la trouvais toujours au même endroit à surveiller ma voiture d’un air patibulaire. Je passais devant elle mes Aviator de Ray Ban visées sur le nez, remontais en voiture et démarrais en trombe. Je savais qu’elle avait au moins autant horreur du bruit des moteurs que des voitures mal stationnées.

fullsizerenderTombe la neige

Josie avait tenté différentes stratégies pour empêcher les gens de stationner devant notre immeuble depuis que j’y habitais. Elle avait commencé par installer des pots de fleurs à égale distance le long de notre façade. Mais l’un d’eux alla s’écraser contre la porte d’entrée maculant de terre les deux marches du portail. Josie n’en fit pas grand cas et remplaça le pot de fleurs. D’anonymes mécontents s’en sont donnés à cœur joie en cassant tous les pots en une nuit.

Josie changea de stratégie en traçant des lignes de peinture blanche au sol qui délimitaient un espace de stationnement interdit. Sur un panneau emprunté aux ponts et chaussées, elle avait collé un avertissement écrit au feutre indélébile à quiconque oserait stationner sa voiture ou sa moto à cet endroit. Le message ne devait pas être assez dissuasif. Le soir même un voisin avait déplacé le panneau pour faire de la place pour sa voiture.

Déjouer les obstacles de Josie était devenu un jeu pour tous.

L’hiver suivant, la neige lui donna des idées. Elle tomba une semaine entière sans discontinuer. Une aubaine pour Josie qui s’en alla la balayer et forma un gros tas sur l’emplacement de stationnement. Elle empila aussi la neige qu’elle avait balayée devant les deux maisons voisines pour élargir le tas. Elle obtint ainsi un tas suffisamment gros pour qu’aucune voiture ne puisse se garer et répéta l’opération chaque jour jusqu’à ce qu’il arrête de neiger. Des habitants goguenards la regardaient faire. Des enfants avaient même planté un drapeau marqué « Josie » au sommet du monticule.

Les flocons se faisant de plus en plus rares jusqu’à ne plus tomber du tout, nous nous demandions comment Josie allait pouvoir entretenir le monticule. Vieille et fourbue comme elle l’était, elle trouva la rage de charrier la neige qu’elle allait ramasser de plus en plus loin dans la rue à grandes pelletées dans une brouette. Elle faisait de longs et pénibles aller-retour jusqu’au tas. Chaque jour, elle allait se fournir un peu plus loin dans le quartier. Arriva finalement le jour où les seuls vestiges de neige restant dans le quartier formaient son tas. Un tas qui fondait de plus en plus au soleil. Elle était désormais obligée de ramener la neige des bords sur le sommet jusqu’à ce qu’un matin, il n’y ait plus qu’une minuscule pyramide.

Josie dut se rendre à l’évidence, il ne resterait bientôt plus qu’une flaque d’eau. Elle acheta de nouveaux pots de fleurs et recommença à invectiver quiconque osait garer sa voiture sous ses fenêtres.

 

 

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