Ombres grivoises

screen-shot-2016-09-24-at-5-56-23-pmJ’étais tranquille, j’étais peinard, on était samedi soir. Un bon bouquin, un verre de vin. J’avalais les pages en sirotant le breuvage. Le verre était à moitié plein, puis plus rien. J’allais me resservir à la cuisine quand par la fenêtre je vis une scène coquine.

Le voisin d’en face, un hidalgo au look d’intello, passait la soirée avec sa copine. Lovés sur le canapé, ils avaient dû regarder la TV avant de décider de mettre en pratique des figures de gymnastique. La pièce était plongée dans le noir, mais le halo de lumière provenant du poste de télévision projetait sur le mur du salon des figures plus que suggestives en ombres chinoises. Elle était plutôt souple et ce que j’observais ne laissait guère de place à l’imagination. Je n’aurais jamais pensé que l’on pouvait faire autant de choses sur un canapé. Le Viking soudain me manquait… Je pris mon verre de vin et me replongeait dans mon bouquin, laissant mon voisin à ses plaisirs coquins.

Le lendemain, je croisais Josie en revenant de la piscine. Depuis la rue, elle scrutait nerveusement les fenêtres du voisin. Elle devait avoir assisté aux mêmes galipettes que moi la veille et voulait être aux premières loges pour assister à la prochaine partie de jambes en l’air. Je pense que c’était une erreur et qu’on voyait mieux d’en haut avec une légère contre-plongée. Je partageais cette opinion avec ma voisine en lui faisant un clin d’œil complice.

  • Tu les as vus aussi hier soir, me lance-t-elle.
  • Oui !
  • Quelqu’un devrait dire à Armando d’éteindre sa télévision quand il a un rapport sexuel avec une de ses conquêtes.
  • Armando ? Ses conquêtes ? Tu as l’air bien au courant, Josie.
  • Son salon donne sur les fenêtres de ma cuisine et il ne ramène jamais deux fois la même jeune femme.
  • Tu l’espionnes !
  • Non, il m’arrive d’avoir des fringales le soir et de me lever pour aller grignoter dans la cuisine. Je tombe sur le peep-show sans le vouloir. Ce mec est un exhibitionniste sous ses airs de gendre idéal. Tu savais qu’il se promène parfois tout nu dans son appartement ? L’autre jour, il s’est même étiré devant de la fenêtre pendant que j’arrosais mes géraniums. Cela ne se fait pas !
  • Ah !, j’avais envie d’éclater de rire à la tête faussement choquée de ma voisine.
  • Quelqu’un devrait lui dire de s’acheter des rideaux. Tu ne peux pas lui parler, toi ? Vous êtes de la même génération.
  • Ce n’est pas une raison.
  • Conseilles-lui d’installer des stores. Parfait, je compte sur toi !, me répondit-elle, toute guillerette, en ouvrant la porte de notre maison. Comme si le fait de voir la fossette sur les fesses du voisin l’importunait réellement.

J’étais donc officiellement chargée d’une mission périlleuse. Comment allais-je m’y prendre ? Indécemment soudoyer le Viking pour qu’il fasse le job à ma place ? Non ! Faire des signaux lumineux depuis ma cuisine pendant qu’une de ses conquêtes le turlute ? Pas très discret. Je sais ! Je vais lui envoyer la police. Les agents n’auront qu’à lui expliquer. Mais il pourrait mal le prendre. La meilleure solution était encore de lui parler. Et si je rédigeais un mot et le glissais dans sa boîte-à-lettres ! Chochotte va ! Je décidais de demander conseil au Viking via une application de chat bien pratique. Il me conseilla la technique du sparadrap : on l’arrache vite et tout de suite, on ne traine pas comme ça, au moins c’est fait !

  • Vas lui parler tout de suite, comme ça tu arrêteras de stresser !
  • Tu me laisses aller seule discuter avec un tombeur ?
  • Oui, je vais quand même pas venir te tenir la main non plus !
  • Steuplait !
  • Je t’ai déjà vu remettre des tombeurs à leur place plus d’une fois. Je croyais que c’était ton sport préféré ?
  • Fonce ! Si dans 20 minutes tu ne m’as pas raconté comment cela s’est passé, j’envois la police, si cela peut te rassurer.

Le Viking avait raison, je n’allais quand même pas être gêné face à un tombeur, catégorie masculine dont l’allure et les manières faussement assurées m’avaient toujours fait rire. Je traversais la rue et sonnait à sa porte. Le voisin apparut devant moi en enfilant un t-shirt.

  • Bonjour ! J’habite en face. Je me demandais si installer des stores faisait partie de vos projets ?
  • Vous en vendez ?
  • Non.
  • Et bien non !
  • Alors pourrais-je vous suggérer d’éteindre votre télévision quand vous recevez des jeunes femmes chez vous ?
  • Je ne vois pas en quoi le fait de regarder la télévision avec mes amies peut vous concerner.
  • Si seulement vous la regardiez, je ne serais pas ici à vous parler. Ecoutez, nous sommes plusieurs à avoir une vue plongeante sur votre postérieur quand nous ne voyons pas leur ombre dans le halo de la télévision. Cela en choque certains de l’autre côté de la rue.
  • Vous n’avez qu’à ne pas regarder. Je vous suggère de baisser vos stores.

Cela dit, le voisin me claqua la porte au nez et me laissa plantée sur le palier. Je lâchais une insulte qui commençait par « gros » et finissait en « ard ».

Quelques jours plus tard, Josie sonna à ma porte pour me dire de regarder par les fenêtres de ma cuisine, le voisin était en train d’installer des stores blancs. Il avait été désagréable mais avait fini par ravaler sa fierté. Nous allions pouvoir utiliser nos cuisines sans craindre d’apercevoir l’intimité du voisin et de ses amantes. Le samedi soir suivant, j’allais à la fenêtre de ma cuisine pour m’assurer que les stores faisaient leur office. Sur la toile blanche tendue se découpaient deux silhouettes noires étroitement liées dans une position suggestive. Les stores n’étaient pas complètement occultants et reflétaient des ombres grivoises.

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