Stupeur et effarement, notre voisine Josie avait de la famille. Une nièce avec laquelle nous avons fait connaissance quelques semaines après le mémorable pétage de câbles qui avait valu à notre voisine de passer un séjour à durée indéterminée au vert.
Un dimanche matin, alors que j’installais la table du déjeuner sur la terrasse, j’ai aperçu une fausse blonde famélique et binoclarde perchée sur des escarpins à talons de quinze et vêtue d’un tailleur gris étriqué, errer dans la cour. Je l’observais quelques instants en me demandant qui elle pouvait bien être et comment elle était entrée dans l’immeuble. Je penchais pour un agent immobilier venu inspecter un bien à vendre.
Poussée par la curiosité, je la saluais. Surprise et mal à l’aise, elle faillit perdre l’équilibre sur les pavés de la cour. Ses talons étaient bien moins adaptés à ce sol accidenté que les charentaises de Josie. Elle me saluait en retour et d’une voix pincée me déclinait son identité. Elle s’appelait Anne-Charlotte Hashdegger et était la petite-nièce de Josie, mais comme nous allions être appelées à nous revoir, elle m’invitait à l’appeler «Hash», c’était le surnom que ses collaborateurs lui donnaient. Elle avait hérité de l’appartement de Josie, mais ne comptait pas y résider, la résidence étant trop simple à son goût. Enfin, hérité était un bien grand mot. Elle devait s’en occuper en l’absence de Josie. Le Viking qui m’avait rejoint, lui proposa de nous rejoindre sur notre terrasse accessible depuis la cour pour prendre l’apéritif.
Trop prévenant, comme toujours. En ce qui me concernais, je ne voulais pas faire amie-amie avec cette Barbie du pauvre qui faisait semblant de ne pas retrouver ses mots en français et les remplaçait par des mots anglais prononcés avec une imitation d’accent «so british». Elle nous expliquait qu’elle travaillait pour une grande «international company» et qu’elle était trop «busy busy» pour venir inspecter les lieux pendant la «week». L’appartement avait l’air «cosy», mais terriblement «shabby». Dans ma tête je pensais qu’il n’y avait pas que l’appartement.
Pendant qu’elle descendait son whisky, – elle aurait préféré du champagne, mais n’avait pas voulu nous faire ouvrir une bouteille juste pour elle -, Barbie nous expliquait que l’appartement n’avait pas une grande valeur pour elle. Ce qui l’intéressait, disait-elle, c’était le coffre rempli de «gold» que sa tante devait posséder, selon la légende familiale. Il ne se trouvait pas à la banque. Sa «mother» avait vérifié donc il ne pouvait être qu’ici. Elle allait donc employer son si précieux temps libre à le chercher. Elle tenait d’ailleurs à remercier ce si gentil «barkeeper» qui avait rendu Josie «mad» et lui avait ouvert les portes de son appartement.
Barbie n’avait jamais rencontré Josie et d’ailleurs elle n’avait que faire de cette vieille folle. Sa famille ne l’avait d’ailleurs jamais fréquentée. Trop compliquée, jugea Barbie en balançant son avant-bras d’avant en arrière.
Elle prit congé après avoir sifflé un deuxième whisky arguant qu’elle n’était pas une personne d’extérieur et que le soleil allait lui ruiner la peau. Elle quitta la cour en claudiquant sur un «Ciao» trainant. Une fois que ses talons eurent fini des résonner dans le couloir, le Viking et moi éclatâmes de rire. Pourtant, ces talons, nous allions les entendre encore souvent à l’avenir. Nous étions débarrassés d’une folle, la vie nous en avait envoyé une autre.
Barbie s’installe
Barbie ne tarda pas à revenir. Un vendredi soir à onze heures. Elle avait les mêmes habitudes que sa tante. Nous étions affalés devant la télévision et savourions le début de notre week-end quand on sonna à la porte. A travers l’œilleton, j’aperçus des racines noires au milieu de paille jaune montée en chignon et un long nez tout sec surmonté d’un modèle de lunettes papillon en plastique qui se voulait à la mode depuis trop de saisons pour l’être encore.
J’ouvrais la porte et sans même me laisser le temps de (ne pas) l’inviter à entrer, elle trônait déjà au milieu de mon salon. «Savez-vous où ma tante rangeait la clé de sa cave? J’ai besoin de la clé de sa cave», nous demanda-t-elle sur un ton qui n’aurait pas admis qu’on lui réponde par la négative. C’est pourtant ce qui se produisit. Elle tourna alors ses talons strassés et quitta notre appartement sans mot dire.
Le lendemain soir, je repérais la camionnette d’un serrurier stationnée au coin de la rue. Arrivée dans le hall d’entrée, je l’entendais pester sur l’artisan qui ne perçait pas la porte assez rapidement à son goût.
Quelques jours plus tard, ce n’était pas une camionnette, mais un camion de déménagement qui était stationné au coin de la rue. Arrivée dans le hall d’entrée, je tombais sur Barbie, mini-jupe moulante, décolleté aussi profond que transparent et soutif’ apparent, hauts talons avec cabochons doré… Elle semblait excitée comme une puce. Elle dandinait du cul qu’elle n’avait pas à chaque fois qu’un déménageur passait dans l’entrebaillement de la porte, tout en m’expliquant que son loft étant en travaux suite à un dégât des eaux, elle allait s’installer ici quelques temps. Elle avait donc fait livrer certains de ses meubles en faux moderne des années 1980 et évacuer au garde meuble, les meubles de famille de Josie, ainsi que ses napperons. Elle n’avait conservé que les rideaux en dentelle qu’elle trouvait «so chic». Il faut dire qu’ils ressemblaient à son chemisier transparent.
Cet emménagement lui permettrait d’ailleurs de consacrer d’avantage de temps à sa chasse au trésor. Quelque chose me dit que nous allions encore bien rigoler… ou pas.
Vous devez être connecté·e pour rédiger un commentaire.