« Je vais me la faire! Un de ces jours, je vais me la faire! », tempête Ilan le barman, en claquant la porte du Gimme Shelter. Surpris, nous nous tournons tous vers lui. Le grand gaillard va se placer derrière son bar, noue son tablier dans le dos et balance un torchon avec force sur son épaule gauche puis poses ses deux mains à plat sur le zinc en poussant un énorme soupir. « Je vous jure, un de ces quatre, cela va mal se passer », poursuit-il en essuyant un verre, « J’ai fait la guerre en Yougoslavie, moi! C’est pas une vieille sorcière qui va me faire peur… » D’ordinaire taciturne, le grand gaillard bouillait de rage.
Il attrape la bouteille de vodka rangée sur l’étagère juste derrière lui et se sert une rasade qu’il boit cul sec, puis une deuxième. Il s’essuie les lèvres du revers de la main avant de lever les yeux vers nous. Son regard était emprunt d’incrédulité davantage que de colère.
Le fulminant barman tarda à nous donner les raisons de son envie de meurtre. « Je vais bloquer la serrure de sa porte pour qu’elle soit enfermée chez elle. Non mieux, je vais la pousser dans le fleuve en plein hiver, un soir où elle viendra se plaindre du bruit. Je vais dégonfler les pneus de sa voiture comme ça elle saura ce que ça fait de devoir s’en racheter des neufs… Même si elle ne l’utilise jamais ! Je vais… Je vais… Je vais… l’empoisonner avec un de mes cocktails ! Elle va voir ce qu’elle va voir », nous promit-il de sa voix de baryton en pointant de l’index un Josie imaginaire et en roulant les r.
« Elle a menacé de me signaler à l’immigration parce que je devais être un illégal avec ma tête et mon accent et que si cela se trouvait, mon nom n’était même pas mon nom… Elle dit que je travaille au noir pour toi Chris et que tu loues des chambres avec des putes et de la drogue dans les étages. Elle l’a raconté à une autre vieille sorcière au café en centre-ville où mon cousin Drago est videur, le soir. Il était en avance et il a tout entendu », nous explique-t-il.
– Ce ne sont que des mensonges, calme-toi !, lui intime Chris.
– Calme-toi ! Calme-toi ! Comment tu fais-toi pour rester calme ? Elle va détruire la réputation du café, la tienne et la mienne. Les gens vont se poser des questions et cela va être déformé et amplifié. Et toi, tu veux que je me calme !?!
– Je commence à avoir l’habitude de ses plans foireux. Et on est en ordre avec la loi. Si ça l’excite de croire qu’on est des gens malhonnêtes…
– Elle a dit qu’au petit matin du Premier de l’an, on avait jeté une fille blonde à moitié nue et tout aussi inconsciente dans un taxi. Josie a raconté qu’elle devait être mineure et ne portait plus de chaussures, ni de manteau. Elle l’avait remarqué parce qu’elle ne dormait pas étant donné le bruit que nous avons fait toute la nuit.
Les quelques habitants du quartier au bar et moi-même avons échangé des regards perplexes. Personne ne souvenait d’une nymphette blonde et encore moins que la fête ait battu son plein jusqu’aux petites heures.
– Elle a dû rêver ! Le cocktail champagne, somnifères, antidépresseurs et antirabique doit faire sacrément planer. Du coup, elle a vu un ange agressé par des diables en enfer, rigole un voisin présent à la Saint Sylvestre.
– Elle a bien changé la Josie !, lance un ancêtre du quartier depuis le zinc. Quand elle était jeune, y paraît qu’elle avait rien contre un petit coup ou deux de rouge ou de rein. Même qu’elle aimait ça, qui disent ! Y en a qui l’auraient surprise derrière les buissons du square et pas toujours avec le même bonhomme, hein! Elle aimait la variété !
– Vous voyez ! Elle est perverse !, commente Ilan alors que nous étions tous en train d’y aller de notre commentaire sur Josie, la jupe retroussée derrière les buissons. Je crois que nous ne traverserons plus jamais le square de la même manière à présent.
– Riez, riez ! Moi ça ne m’amuse pas, poursuit Ilan dans son coin. Elle va nous causer du tort. La mafia russe va finir par débarquer pour nous demander de quelle droit on marche sur ses plates bandes. Et tu leur dira quoi, Chris ? Ils sont arrivés un soir dans le café où je travaillais avant. Un grand gros véroleux en costard noir, une minette à gros poumons et petit cul sous chaque bras et trois gardes du corps à leur suite. Le véroleux a essayé d’intimider le patron. Ils sont revenus deux fois. Après, j’ai rendu mon tablier. Je ne voulais pas être mêlé à ces histoires.
– Les Russes sont déjà passés et tu ne t’en es même pas aperçu, rétorque Chris. Ils sont passés un soir. On a réglé les choses dans l’arrière-boutique. Notre business ne les intéresse pas. Tu n’as donc rien à craindre.1,90 mètre de muscles et le mec a peur de son ombre…
– Seulement de Josie !, souligne Ilan en tirant un grand couteau de derrière son comptoir, ce qui provoque l’hilarité dans le café. Comme si de rien n’était, il se met à trancher des citrons. Il valait mieux qu’il passe ses nerfs sur des citrons que sur notre voisine infernale. Restait à savoir s’il allait oui ou non mettre ses menaces à exécution…
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