La douche jaune avait quelque peu calmé la terreur du quartier. Cependant, elle avait reporté son énergie sur mon homme et moi. Elle nos reprochait amèrement de fréquenter le bar et avait décidé de nous arracher des aveux coûte que coûte. Enfin, je crois.
Un beau matin, alors que je sortais ma poubelle, la tête en vrac et le cheveux hirsute, elle m’a interpellé sèchement:
- «Je t’ai entendu discuter toute la nuit avec ton homme. Vous m’avez empêché de dormir.»
- «Mais Josie, c’est impossible! Nous n’étions pas là. Nous avons passé la nuit à l’extérieur et nous ne sommes rentrés qu’à l’aube.»
- «Ce n’est pas vrai. Je vous ai entendu parler à voix haute.»
- «Puisque je te dis que c’est impossible.»
- «J’ai même sonné à ta porte pour te demander de faire moins de bruit. Tu
n’as pas réagi et vous avez continué de plus belle.» - «Tu me fatigues. Tu entends des voix ou quoi? Il n’y avait personne chez moi cette nuit. C’est pour cela que je ne t’ai pas ouvert.»
- «Et vous étiez où alors?»
- «Bon sang, mais cela ne te regarde pas.»
Je tournais les talons (fuir la tête haute avec un air offusqué était le seul moyen de me sortir de ce dialogue de sourds), quand elle m’assena: «Vous étiez encore au bar. C’est ça je m’en doutais.»
Je n’ai pas répondu, je ne l’ai pas regardé et je m’en suis allée raconter «la dernière de Josie» à mon homme. Mon espiègle et enjoué partenaire a décidé que si elle n’entendait pas déjà des voix, il allait lui en faire entendre.
Les voix de Josie sont impénétrables
Pendant plusieurs jours, il a enregistré toutes nos conversations pour les transférer sur son ordinateur. Son plan était simple: il m’invitait en week-end. Notre premier depuis que les élucubrations de Josie nous avaient rapprochés. (Elles auront au moins servi à quelque chose !) Ma mission était de promouvoir ces deux jours de chouchoutage intensif dans l’immeuble et dans les commerces du quartier de manière à ce que notre absence revienne aux oreilles bioniques de Josie. Il en ferait de même de son côté. Ne restait plus, par sécurité que de faire un barouf du tonnerre le matin de notre départ pour que notre absence ne fasse aucun doute aux yeux de Josie. L’homme avait programmé son ordinateur pour passer nos discussions à certaines heures de la nuit. C’était bas et mesquin, mais nous avons pris un malin plaisir à mettre notre plan à exécution. Plan qui s’est révélé efficace…
La première nuit, nous avons reçu des sms de Josie, nous demandant de parler moins fort, auxquels nous avons répondu que nous étions à la campagne. Le lendemain matin, elle me téléphone.
- «Comme vous ne voulez pas m’ouvrir, je suis bien obligée de vous téléphoner. Vous avez encore parlé toute la nuit.»
- «Oui, c’est vrai! Mais à 300 kilomètres de la maison. Nous passons le week-end à la campagne dans un petit hôtel ravissant que nous avons dégotté sur un site de réservations en ligne. »
- «Mais si! J’ai même écouté derrière votre porte.»
- «Tu es sure que c’était bien nous? Tu me connais, je suis tête en l’air, j’ai peut-être oublié d’éteindre la radio. Dans ce cas, je m’excuse.»
- «Non, c’était vous. »
- «Ok ! Tu entends des voix ! Prends ton téléphone et montes écouter à ma porte. Tu me diras si tu m’entends te parler depuis mon appartement ou depuis le téléphone. »
En deux minutes, elle se trouve deux étages plus hauts, devant ma porte d’entrée.
- « Au moment où je te parle, je suis à ta porte et je n’entends pas un bruit.»
- «Tu vois bien que ce n’était pas nous. De plus, si j’étais là, tu m’entendrais te parler à travers la porte ou alors tu m’aurais vu quitter l’immeuble ce matin. Alors, je te souhaite un bon week-end.»
Voisins fantômes
A notre retour, le dimanche soir, nous avons trouvé des
dizaines de notes plus ou moins rageuses glissées sous la porte de mon appartement, nous suppliant de nos taire. Tandis que l’homme remontait nos affaires et des sachets de spécialités campagnardes, je suis allée m’enquérir de l’état de nerfs de ma chère voisine.
Elle m’a une nouvelle fois exprimé son étonnement de nous voir de retour de week-end alors qu’elle n’avait cessé d’entendre des voix. Dos au mur, elle trouva cependant un échappatoire : mon appartement devait être hanté. «Hanté! Je n’ai jamais vu aucun fantôme là-haut», lui répondis-je, «Donc tu veux dire que quand les vivants sont partis, les morts dansent et qu’en plus ils ont les mêmes voix que nous? C’est étrange en effet. Il va nous falloir surveiller cela alors. Merci de m’avoir prévenues et bonne soirée!»
Mon ignoble coup de cœur et moi-même avions réussi à semer la pagaille dans l’esprit déjà trouble de Josie. Il restait toutefois un coin d’ombre: allait-elle continuer à entendre des voix?
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