«Tu vis seule, il faut bien que quelqu’un surveille tes fréquentations!» Non merci, ce n’est vraiment pas la peine surtout si cela te donne un prétexte pour m’espionner encore plus que tu ne le fais déjà. Surtout qu’à l’époque où elle a fait semblant de chercher à me protéger des vilains messieurs, je recevais pas mal de visites du sexe opposé. Non pas que je changeais d’homme comme de strings, mais je n’avais que des amis masculins. Je ne me suis jamais entendue avec les filles, les princesses névrosées, les jalouses de tout, les collectionneuses de potins, les dingues de chaussures, les Barbies d’intérieur, les féministes frustrées…
J’étais le garçon manqué le plus sexy du coin et j’avais des copains mecs pour me réchauffer le cœur et parfois le corps. Certains soirs, ils arrivaient même à plusieurs. Sauf que Josie ne faisait pas bien la différence entre les uns et les autres. Elle s’arrangeait toujours pour les croiser sur son terrain, dans les couloirs. La première rencontre était systématiquement vécue comme un choc visuel et émotionnelle par mes visiteurs. Elle les jaugeait d’un œil suspicieux ou gourmand, en fonction du physique de l’individu étudié, et parvenait toujours à les mettre mal-à-l’aise.
Tout au début que je fréquentais mon amoureux (l’homme, que vous allez croiser à plusieurs reprises au cours des aventures de Josie), elle l’avait interpellé depuis l’épicerie alors qu’il s’apprêtait à sonner à la porte de la maison. Elle avait un service à lui demander. «Vous qui êtes grand et bien bâti, pourriez-vous s’il-vous-plait remettre le tapis posé contre ma porte à votre amie et lui demander de ma part de bien vouloir le placer sous son lit? Merci. Cela atténuera le bruit que font les pieds du lit en cognant contre le carrelage.» Mon amoureux est arrivé tout penaud à ma porte, un immonde tapis qui n’avait de persan que le nom, roulé sous son bras musclé. Le tapis a volé à la poubelle. Mon amoureux et moi au septième ciel.
Josie écoute aux portes
Je me souviens de mon premier rendez-vous «rien que nous deux» avec mon amoureux. Il m’avait emmené manger des tapas pour mon anniversaire et m’avait raccompagné à ma porte. Nous nous étions assis sur les petites marches à l’entrée et avions discuté longuement en nous regardant dans le blanc des yeux. Je me souviens avoir crevé d’envie de l’embrasser. Il m’a finalement pris de vitesse. C’était exquis!
Jusqu’au moment où un bruit sourd est venu troubler mon extase. Une sorte de crachotement à peine audible. J’avais beau essayer de me concentrer sur ce baiser tant espéré et sur les rondeurs musclées de celui qui me serrait dans ses bras, je n’entendais que ce bruit. Alors que mon homme en devenir me plaquait contre la porte d’entrée, tout en continuant à m’embrasser, je compris d’où venait le bruit… De l’interphone! Josie nous épiait!
N’avais-je pas le droit d’embrasser un bel homme dans la rue devant chez moi? D’autant plus que cela faisait un certain temps que personne ne s’y était essayé… (Et les filles, je confirme, c’est vraiment comme la bicyclette!)
J’abandonnais un instant les lèvres de mon beau blond pour pointer les miennes en direction de l’interphone et demander à ma voisine si elle n’avait pas mieux à faire en cette heure tardive que de nous épier. Le crachotement cessa instantanément et je pus me concentrer à nouveau pleinement sur l’objet de mon désir. Goulument, je baladais mes mains le long de son dos visant ses fesses rebondies… quand le crachotement a repris. Elle écoutait à nouveau! C’était à peine croyable. J’abandonnais à nouveau l’occupation qui n’allait pas tarder à devenir ma favorite, pour intimer à ma voisine d’aller se faire cuire un œuf au lieu de nous écouter nous lécher les babines mutuellement.
Le bruit cessa à nouveau, mais l’envie de faire des folies m’était passée. Heureusement, mon homme et moi n’avions pas perdu l’envie de nous revoir. Il devait par la suite m’aider à supporter toutes les excentricités de ma chère voisine et parfois même en faire les frais. Car, tout comme pendant mes premières années dans la maison, elle avait fait des pieds et des mains pour rentrer dans l’intimité de mon appartement, elle utilisa les mêmes moyens pour découvrir qui se cachait derrière mon beau viking aux épaules rassurantes.
Si elle avait eu 50 ans de moins, le corps de Monica Bellucci et des seins qui défient la gravité, j’aurais pu être jalouse, mais les tentatives d’approche de notre vieille voisine percluse de rhumatismes m’amusaient plus qu’elles ne m’agaçaient. Mon homme a mis un certain temps à s’habituer à sa vision et à ses minauderies de petite fille. Mais il écoutait toujours s’il y avait du bruit dans le couloir avant de quitter mon nid d’amour.
Est-ce que c’est en s’appelant Maboule qu’on assume sa boule? Ton héroïne me rend triste … comme tous ces abîmés vifs écorchés que produisent nos sociétés si éclairées, modernes et progressistes . La perfection n’étant pas humaine c’est l’abîmé qui devient notre norme … mais tu as du temps devant toi pour le découvrir … avec ton amoureux. Rol
Mon cher Rol, je ne cherche pas à moquer de mon personnage. Elle est urticante, mais elle est surtout un mélange d’écorchés vifs que j’ai pu croiser et qui m’ont amené à m’interroger. Nait-on ainsi ou est-ce la société qui nous pousse à devenir fous? Vais-je un jour aussi être une vieille folle, seule et loufoque que tout ennuie? Au fond, j’ai une tendresse pour Josie Maboul. Et si je suis aussi vache dans ma caricature, c’est peut-être pour exorciser cette peur d’être déçue par mes semblables et de rejeter le monde. Du coup, la narratrice a beau vivre dans le même monde que Josie, mais elle – contrairement à sa voisine – a tout pour être heureuse. Je lui ai donné un homme, un chat, un joli nid douillet, de la musique et de la légèreté.
Ah que Josie….