Josie Maboul était ma voisine. Une pauvre petite chose un brin perturbée qui possédait la faculté d’exaspérer quiconque croisait son chemin. Il existe autant de voisins retords qu’il existe de tristes individus tordus, mais je vous prie de croire que Josie Maboul était un cas à part.
Peut être l’est-elle encore pour quelqu’un. Je ne le sais pas, je n’ai plus jamais croisé son corps vouté et gris depuis ce fameux soir où des policiers l’ont emmenée. J’ai appris plus tard qu’elle avait été placée en maison de repos.
C’était un dimanche atone de fin d’automne. Je m’en souviens comme si c’était hier, tellement j’étais terrifiée. Ce soir-là, j’appréciais le calme qui venait de revenir quand soudain un bruit de verre brisée résonna dans notre ruelle. Je me précipitais à la fenêtre pour découvrir Josie brandissant une hâche plus lourde qu’elle et faisant éclater les vitres du bar d’à côté. Le patron et son équipe n’en croyaient pas leurs yeux. Telle une furie, elle cognait et cognait encore et encore laissant échapper sa rage dans d’affreux râles aigus. Tout le quartier, depuis les fenêtres, les balcons ou tout simplement le trottoir d’en face, la regardait faire, interdit, en attendant l’arrivée de la police. Personne n’osait intervenir de peur qu’elle ne change de cible.
La vieille avait du coffre
Plus tôt dans l’après-midi déjà, Josie Maboul, c’était le nom de ma furie de voisine, avait donné de la voix. La vieille dame avait du coffre. D’abord, elle s’est contentée d’aboyer contre je ne sais quel produit de son imagination, avant de plonger dans une véritable crise d’hystérie à se taper la tête contre les murs, casser les objets placés sur sa trajectoire, faire trembler la maison et tout bonnement gueuler. Il n’y a pas d’autre mot.
Depuis quelque temps, il était même quasiment devenu impossible de dialoguer avec elle sans qu’elle ne se mette à hausser le ton et à augmenter le débit de ses phrases. On avait beau lui demander gentilement de baisser le volume, lui dire que ce n’était pas nous qu’elle devait invectiver, qu’elle se trompait de cible, que si elle continuait sur sa lancée on stoppait toute conversation ou on parlerait plus fort qu’elle au risque de se casser la voix, rien y faisait. Et pourtant, elle n’était pas sourde. J’en avais eu la confirmation à maintes reprises durant nos années de cohabitation.
Elle avait toujours une bonne raison pour éructer. Quand ce n’était pas contre le monde entier qui s’était ligué contre elle, elle reportait sa haine sur ce bar qu’elle détestait tant.
Fermer le bar avant de se faire enfermer
Cette dernière activité lui prenait tant de temps qu’elle en négligeait les autres sujets de prédilection de son esprit perturbé et paranoïaque (ndla: vous les découvrirez au fil des épisodes de ce feuilleton. Patience!). Ce bar empêchait Josie Maboul de dormir. Elle avait perdu tout recul, mais gagné un but dans sa morne vie solitaite: tout faire pour que le patron mette la clef sous la porte. Son imagination pour y parvenir, à l’instar de son abonnement auprès de son entreprise de téléphonie mobile, était illimitée. Et si son imagination ne suffisait pas, elle n’hésitait pas à intercéder en divers hauts lieux.
Ce fameux soir d’hiver, ces mêmes policiers qui s’étaient déjà déplacés mille fois à sa demande, ont une fois de plus eu fort à faire avec leur redresseuse de tords la plus fidèle. La manière douce, le dialogue, ne parvenant pas à la calmer – Josie fulminait, de l’écume grouillait aux commissures de ses lèvres et ses yeux ronds et exorbités lançaient des éclairs, alors qu’elle continuait de pousser des cris bestiaux –, les agents n’ont eu d’autre choix que de l’arroser de gaz lacrymogène pour la distraire, la désarmer et la plaquer au sol pour lui passer les menottes avant qu’elle ait le temps de se jeter sur eux en brandissant sa hache. Hystérique, elle se débattait au sol, donnant des coups de pieds aux agents qui tentaient de l’immobiliser. Elle menaçait de dénoncer leur brutalité au plus haut niveau. Un médecin a même été appelé pour lui administrer un calmant de cheval afin que les forces de l’ordre puissent l’embarquer en toute sécurité.
C’est la dernière fois que j’ai vu Josie. Quelqu’un est un jour venu récupérer ses effets personnels. Le bar est toujours là. Ses vitres ont été remplacées. L’immeuble a retrouvé le calme que Josie réclamait tellement.
Vous devez être connecté·e pour rédiger un commentaire.