Le coup du parasol

 

P1030173Depuis qui j’avais emménagé dans la maison, je l’avais toujours vu, le parasol bleu turquoise de la cour intérieure. Les fenêtres de mon salon donnaient en plein dessus! Le parasol servait de cache-misère pour ce qu’il y avait en dessous: une table et des fauteuils de jardin en plastique jadis vert sapin. A moins d’être haut comme trois pommes, il était impossible de se tenir debout ou de s’asseoir sous le parasol qui été réglé à la hauteur de la table.

Tous les matins alors que j’ouvrais mes fenêtres pour aérer l’appartement, je contemplais malgré moi ce spectacle de désolation. Rebelotte le soir quand je tirais les rideaux. Il y avait un pendoir à linge enguirlandé de torchons sales, une nappe en plastique dont les motifs provençaux n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes, des coussins déteints et détrempés qui passaient les quatre saisons à se gonfler d’eau et de gel avant de fondre aux beaux jours et devenir des nids à vermine.

Et tout autour, des pots de fleurs de styles, de couleurs et de matières disparates dans lesquels vivotaient de tristes pousses transpercées de roues-à-vents multicolores.

Tout doit disparaître

Avec le temps, je ne supportais plus la vision du parasol. J’avais honte quand un invité se penchait innocemment à une des fenêtres de mon salon pour admirer la vue. Pour une raison qui m’échappait, Josie ne le rentrait jamais. Le pauvre parasol passait sa vie dehors. En hiver, les premières années pour le protéger de la neige, Josie le couvrait d’un immonde tapis gris. Le reste de l’année, il décrépissait lentement, grisonnait, se tâchait et s’affaissait doucement. Les coutures avaient même lâchées dans un coin.

Un jour, excédée par cette vue peu engageante, je décidais d’en toucher un mot à sa propriétaire. En y mettant les formes, je l’interrogeais sur l’omniprésence de l’objet et lui suggérais de ranger sa cour qui ressemblait à un camp abandonné de romanichels. Elle me dit que si elle ne le rentrait pas c’est parce qu’elle n’arrivait plus à le sortir de son socle et à le replier. Quant aux coussins et à la nappe, ils ne pouvaient être sales puisqu’ils étaient protégés par le parasol…

Lui faisant remarquer qu’elle ne profitait jamais de sa cour, je lui proposais de réunir d’autres voisins fatigués par la vue pour déblayer ce salon de jardin à l’abandon. Josie m’envoya paître en me suggérant de m’occuper de mes affaires et de dire aux autres voisins d’en faire autant.

Quelle ne fut ma surprise de constater quelques jours plus tard que le vieux parasol avait été remplacé par un parasol rouge flambant neuf. Les coussins, les torchons, la nappe et les pots de fleurs n’avaient pas bougés. C’était il y a deux ans. Aujourd’hui, la toile du parasol est délavée et teinté de rouille le long des baleines…

Parfois, il m’arrive de rêver que je l’arrose d’un produit dissolvant la toile…

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