Le coup de la gifle nous avait à tousmis une claque. Bien que destinée à Josie, nous étions tous K.O pendant les jours qui suivirent cet incident. Il faut bien l’avouer, mais cela reste entre nous, j’avais souvent imaginé, comme je le faisais au lycée avec certains profs, que j’écartelais Josie lentement dans la salle des tortures d’un château du Moyen-Age. Cela ne fait pas de moi une psychopathe en latence de crime, hein?
C’était ma manière à moi de décompresser quand Josie était venue sonner à ma porte trois soirs de suite après 22 heures, quelle me laissait des messages incopréhensibles griffonnés sur des chutes de papier collés sur ma porte ou glissés sous ma porte ou qu’elle m’envoyait trois sms en un quart d’heure parce que je ne répondais pas assez vite ou n’avais pas envie de me lancer dans une discussion qui n’aboutirait à rien avec elle. Certains soirs, il m’arrivait d’enlever mes chaussures avant de rentrer dans la maison pour qu’elle ne m’entende surtout pas et ne vienne pas sonner à ma porte. Je n’étais pas la seule à le faire ! Quand je regardais la télévision avec des écouteurs pour qu’elle ne sache pas que j’étais chez moi. Quand je voyais son parasol pourri. Quand elle chipotait à la chaudière et que les samedis matins d’hiver, nous nous retrouvions sans chauffage et eau chaude jusqu’au lundi. Quand elle laissait la porte d’entrée ouverte à tout vent et au tout venant sans comprendre pourquoi une porte se ferme. Quand elle voulait absolument nous faire signer une pétition pour une connerie de la plus haute importance…
Vous n’imaginez pas le nombre de fois où j’ai imaginé que je lui enfonçais une aiguille sous les ongles, que je la lestais et la poussais vivante dans un fleuve, que je la suspendais à son maudit parasol et la laisserais se dessécher lentement au soleil ou geler en hiver. Pourtant, je n’étais jamais passée à l’acte. Ce qui prouve que je suis soit saine d’esprit ou trop trouillarde.
Le fait est qu’il suffisait qu’un soir je ne voie pas de lumière filtrer des rideaux de sa cuisine ou que je ne l’entende pas déplacer ses pots de fleurs après dix heures du soir, pour que je m’inquiète. Josie ne découche qu’à la Saint Sylvestre et à la fête nationale. Mais j’ai surtout trop peur que s’il lui arrive quoi que ce soit, elle ne décide de hanter la maison et que nous ne nous en débarrassions jamais.
C’était totalement infâme de notre part, mais qui n’a jamais eu pareille voisine n’a pas le droit de nous jeter la première pierre.
Parfois, je souhaiterais que son cerveau soit donné à la science pour que quelqu’un m’explique ce qui cloche chez elle et ce qui justifie son comportement. Autant elle souhaitaitentrer dans nos appartements, autant nous aurions voulu entrer dans sa tête, armés de casques et de boussoles pour essayer de comprendre ce qui s’y bousculait.
Toit, toit, mon toit…
La vie privée de ses voisins était un concept tout à fait étranger à Josie. Nous avions déjà pu le constater à de nombreuses reprises. La discrétion non plus d’ailleurs. Les premières visites de mon homme ne l’ont naturellement pas laissée indifférente bien longtemps. Imaginez!: un beau blond aux yeux bleus bâti comme une statue d’empereur romain qui vient de plus en plus régulièrement chez sa jeune voisine sans attaches. Il y avait de quoi titiller sa curiosité maladive.
Il y a quelques années, après mon emménagement dans la maison, elle avait mis en œuvre divers stratagèmes pour pouvoir visiter mon appartement, découvrir comment je vivais et comment je l’avais aménagé. Tous les prétextes étaient bons pour zyeuter par l’entre-baillement de ma porte une partie de mon univers dans lequel elle prenait déjà bien assez de place malgré tout mes efforts pour ne pas la laisser entrer. Je la recevais donc sur mon palier et refermais la porte derrière moi. Et c’est tout naturellement sur mon palier que son incapacité à ne pas se mêler de ce qui ne la regarde pas allait la mener.
Un après-midi, alors qu’elle rentrait les poubelles, Josie croisa mon amoureux qui venait me rendre visite. Ni une, ni deux, elle laissa tomber sa tâche, fila dans son appartement pour en ressortir aussitôt avec une brochure et se précipita dans les escaliers à la suite de mon homme. Elle le rattrapa un étage avant mon palier et lui remis «une brochure sur les pix de l’immobilier qui pourrait sans doute nous intéresser si nous envisagions de nous installer tous les deux». C’était ce qu’on appelle mettre la charrue avant les bœufs!
L’homme, tout penaud, me remit la brochure que je promis de balancer dans la poubelle de recyclage du papier. Puis, fraîchement épris que nous étions, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et nous sommes mis à nous papouiller sur le canapé jusqu’à ce qu’on sonne à la porte. C’était Josie qui avait oublié de dire à mon amoureux qu’elle souhaitait récupérer la brochure après que nous l’ayons consultée. Je la lui aurais bien balancée à la figure, mais je préférais rester urbaine et lui dire qu’elle pouvait garder sa brochure puisque nous n’avions pour l’instant aucune envie de la consulter. Je lui claquais plus ou moins la porte au nez et allais reprendre ma place dans les bras de mon amoureux.
Nous avions à peine enlevé nos T-shirts qu’un bruit se fit entendre sur le palier. Depuis notre place sur le canapé nous pouvions distinguer deux ombres dans l’interstice sous la porte. Ce n’était pas possible… Josie nous écoutait derrière la porte! Etait-ce la première fois où le faisait-elle régulièrement? Qu’espérait-elle obtenir en épiant notre intimité de la sorte?
Il fallait la confondre! Je jetais un regard mutin à mon homme, lui intimait d’un geste accompagné d’un clin d’œil de ne pas faire de bruit et de me laisser faire. Tout en remettant mon T-shirt, je me mis à gémir – Meg Ryan pouvait aller se rhabiller. Mon homme faisait des yeux ronds depuis le canapé. Je me dirigeais à pas de velours vers la porte d’entrée de mon appartement. Poussais quelques gémissements avant d’ouvrir la porte d’un coup vif pour me retrouver nez-à-nez avec une Josie surprise.
Nullement gênée, elle me dit qu’elle venait nous rapporter la brochure au cas où nous changions d’avis. Je ne sais pas ce qui m’a retenu de ne pas la pousser dans les escaliers. Personne ne m’a jamais autant donné d’envies de meurtre qu’elle.
Alors, y a-t-il toujours quelqu’un pour me lancer la première pierre ?
Encore une belle aventure de Josie ….. super!
Merci!