Josie avait échappé aux menaces d’Ilan, le barman du Gimme Shelter. Mais pour combien de temps ? En attendant, c’est un autre habitant du quartier, excédé par des années de flicage intensif et de dénonciations diffamatoires, qui se chargea de lui témoigner tout haut du sale quart d’heure que tout le monde rêvait tout bas de lui faire passer. Elle avait réussi à lui faire perdre son sang-froid.
Josie traversait la rue en traînant derrière elle son grand cabas chargé de courses. Il était déjà tard. Notre voisine pensait qu’en sortant alors que la nuit commençait à tomber, elle se ferait plus discrète et éviterait les représailles que certains habitants du quartier lui avaient promis. Le coup de gueule d’Ilan en avait réveillé pus d’un et à présent, les griefs à son encontre avaient remplacé les discussions sur la météo.
Il y a peu, elle nous avait suggéré de percer une porte dans le mur arrière de la cour pour lui permettre de sortir discrètement dans la rue et ne plus subir les quolibets des habitants de la rue et des clients du café. Une requête qui nous étonna au plus haut point. Josie la provocatrice, la redresseuse de torts, qui ne craignait pas d’aller au devant des ennuis, baissait les bras face aux critiques. Quelque chose ou quelqu’un lui faisait peur !
Percer une porte dans le mur arrière s’avérant impossible – pour atteindre la rue Josie aurait dû traverser la cour de la maison voisine —, elle dut prendre son courage à deux mains et affronter ses détracteurs. Josie continua donc de sortir par la grande porte.
Ce soir-là, elle revenait des courses à petits pas. Le dos voûté et la tête qui arrivait avant le reste du corps, elle avançait doucement le long du square où jouaient des enfants en vacances d’été. Malgré la chaleur, elle nageait dans son manteau d’homme beige et rappé boutonné jusqu’au col en-dessous duquel dépassait une jupe en tartan bleu et vert et un pantalon de survêtement noir qui tir-bouchonnait sur ses godillots. Les enfants stoppèrent net leurs jeux et commencèrent à danser et courir autour d’elle en chantant « Josie est une sorcière ! Josie est une sorcière ! ».
Jeux interdits
Josie commença à tenter de repousser les garnements avec sa canne. Pas impressionnés les gamins continuaient de chanter : «Elle perce les ballons et les pneus… ». Josie essayait de les disperser. « Josie est pire qu’un moustique ». Ils savaient qu’elle ne parvenait pas à garder son calme bien longtemps et espéraient la faire éclater. Ce qui ne tarda pas à arriver. Elle lança une bordée d’insultes – que je ne retranscrirai pas ici — aux garnements, égratigna leurs parents au passage et enfonça leurs méthodes d’éducation. Les enfants reprirent de plus belle. Furieuse, elle frappa l’enfant le plus proche d’elle en plein visage avec sa canne. C’était un petit blondinet de 5 ou 6 ans qui se mit immédiatement à courir en hurlant se réfugier chez ses parents. Certains enfants le suivirent, d’autres allèrent se positionner sur le trottoir d’en face d’où ils observèrent Josie avec défiance.
Le blondinet qui avait pris le coup de canne était peut-être chétif, mais ce n’était pas le cas de son père, un solide gaillard, ouvrier des ponts et des chaussées, qui arriva aussitôt avec l’envie d’en découdre. «Les enfants n’ont pas à se moquer de toi, je le leur ai déjà dit, mais tu n’as pas à les frapper comme tu viens de le faire. Le petit à deux dents cassées et il saigne du nez», explique le père du blondinet à Josie. «J’attends des excuses de ta part.» Alors, là mon coco, tu peux toujours attendre, se dit Josie en esquissant un léger sourire. «Les enfants sont mal élevés. Ce n’est pas bien de se moquer d’une pauvre vielle qui a dû mal à marcher et quelques difformités physiques», lança-t-elle en s’appuyant sur sa canne d’une main tremblante. «S’ils n’entendaient pas les horreurs que vous dites sur moi à la table du dîner, ils auraient un peu plus de respect.» «Il faut dire aussi que vous n’êtes pas de tout repos comme voisine», affirma le papa l’air exaspéré. «Gardez vos commentaires pour vous !», rétorqua Josie, «Si vous n’étiez pas tous dégénérés, débiles ou des romanichels, je n’aurais pas à m’escrimer…» Josie n’arriva pas à finir sa phrase, le père patibulaire lui décrochait une mandale qui la fit basculer.
Surprise et en colère, Josie laissa tomber son sac de courses et frappa de toutes ses forces dans le tibia du père du blondinet avec sa canne. En un réflexe de protection, ce dernier agrippa Josie par la tignasse et la plaqua contre la façade d’une maison, oubliant qu’il avait affaire à un poids plume. Josie se mit à hurler et à gesticuler de plus belle, alertant au passage tout le voisinage. Quelques corbeaux alignés sur une gouttière s’envolèrent au-dessus de leurs têtes. Le papa énervé la laissa choir au sol après qu’elle ait mordu son poignet jusqu’au sang. Il lui donna un dernier coup de pied dans les jambes avant que deux hommes du quartier ne le retiennent pas les bras et l’éloignent de Josie, qu’un troisième aidait à se relever et rassembler ses affaires.
« Vous deux, vous vous êtes assez battus ! », lança l’épicier, « Et devant des enfants en plus ! Vous devriez avoir honte ! Josie rentre chez toi sans un bruit. Je ne veux plus rien entendre. Quant à toi, tu devrais t’occuper de ton petit au lieu de te battre avec une vieille dame même si c’est une emmerdeuse. On rêve tous de lui mettre des claques, mais on s retient ! Allez ouste ! »
Penauds et boitillants, les deux contrevenants rentrèrent chacun chez soi. Inutile de préciser que Josie ne s’excusa pas d’avoir frappé le gamin. Mais elle ne porta pas non plus plainte contre son père pour l’avoir frappé de peur que cette affaire prenne des proportions qu’elle ne souhaitait pas. Le père du blondinet eut la même réflexion. L’affaire fut enterrée. Le gamin perdit ses dents de lait et la petite souris passa.
Josie, elle, change de trottoir quand elle aperçoit au loin le père du gamin. Mais comme vous allez pouvoir le constater dans les prochains épisodes, ce camouflet ne la calmera pas très longtemps.
Clin d’oeil à un lecteur fidèle qui réclamait de la bagarre! Merci de me lire.
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