Gimme Shelter, c’était le nom du bar qui faisait cauchemarder Josie. Le patron l’avait baptisé ainsi en hommage aux Rolling Stones dont il était grand fan au point de cultiver un look à mi-chemin entre Keith Richards et Ron Woods et de se faire tatouer les emblématiques lèvres pulpeuses de Mick Jagger sur le biceps. Un personnage à l’abondante crinière noire qui avait créé un endroit à son image: sauvage et moderne. On s’y sentait bien. Un peu comme dans un cocon chaud et sombre dont on connaissait tous les recoins et les secrets.
Au fond de notre ruelle borgne, l’endroit faisait penser à une taverne pirate dans une ville portuaire. Un coupe-gorge tellement excitant dans lequel on s’imagine trouver des personnages de romans, des vampires, des égorgeurs d’enfants et de la fripouille de grands chemins en poussant la porte. Je comprends que son implantation ait fait jaser dans le quartier.
Exile in a lost street
La façade était peinte en noir jusqu’au deuxième étage. Le patron l’avait bariolé à la peinture blanche de titres des Stones. Une photo de Mick Jagger, jeune, provoquant et tirant une énorme langue déformée par l’objectif, était collée sur la porte, comme pour annoncer la couleur. A l’intérieur, les murs noirs servaient d’écrin à la collection de photographies et d’objets que le patron avait accumulés sur son groupe favori. Quand l’alcool faisait tourner la tête, les trognes de Brian Jones, Mick Jagger, Keith Richards, Ron Wood et Charly Watts apparaissaient comme dans un caléidoscope. Inutile de préciser que la playlist était principalement composée de titres rolling-stonesiens. Le taulier avait réussi à recréer un véritable honky tong et bien que nous ne bénéficions pas du climat du sud des Etats-Unis, en fin de soirée, une moiteur digne des bayous montait entre les volutes bleues de tabac.
En fait d’assassins, le lieu était fréquenté par une clientèle bigarrée de fans de rock’n’roll allant du musicien de garage au cheminot tatoué, en passant par l’avocat ou l’architecte en santiags. Tous acceptaient de rejoindre notre ruelle pour profiter du lieu en toute discrétion. Une discrétion qui, alliée au cadre baroque, a rapidement fait la réputation de notre bar rock. Le patron veillait à ne laisser entrer que les habitués et à ne jamais bonder les salles. Il avait su créer une communauté fermée, comme un couvent de vampires. Tant et si bien qu’il est arrivé que certains groupes de rock de passage dans notre ville sont venus s’y détendre après un concert. Lui et moi rêvions que Keith Richards pousse la porte et nous improvise un concert privé.
Rien que pour cet espoir, rien que pour avoir les larmes aux yeux, les jambes coupées et le cœur qui s’emballe, Josie ne devait pas parvenir à ses fins. Le Gimme Shelter ne devait pas fermer ses portes tant que l’immense Keith saurait tenir une guitare. Josie ne détruirait pas nos rêves sous prétexte qu’elle n’en avait plus.
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