La sorcière mal aimée

Grand-mère-Kal-–-Tradition-RéunionDifficile d’imaginer que ce petit corps frêle et biscornu, dénué de tout charme, ait un jour pu être étreint. Difficile aussi d’imaginer que quelqu’un ait pu trouver un quelconque réconfort ou une quelconque tendresse dans ses bras. Plus elle s’enfonçait dans la folie, plus son corps se tordait, plus ses membres se recroquevillaient. Sa tête et ses épaules étaient presque à la même hauteur, le buste était rentré et le bassin en avant, les jambes arquées et maigres, suivaient en boitant. Son visage se renfrognait, ses cheveux étaient gris et hirsutes. Son corps était parfois animé de tremblements et de tics nerveux. Son regard était trouble. Pas étonnant, devant un tel tableau, que les enfants la poursuivaient dans la rue en la traitant de vilaine sorcière ou de vieille folle.

Un soir d’Halloween des enfants du quartier sont venus récolter des sucreries. Ils ont sonné à la porte de Josie qui n’a pas répondu. Mais plutôt que de poursuivre dans les étages supérieurs, les enfants se sont attardés au rez-de-chaussée et ont scandé le nom de Josie. Ma voisine ne répondant pas, les enfants s’en sont donnés à cœur joie. Comme ils ne semblaient pas vouloir partir, je descendais les retrouver avec un paquet de bonbons. Mais mes bonbons, ils n’en voulaient pas. Le plus petit d’entre eux, un blondinet dans un costume de cowboy trop grand pour lui, me dit avec un sourire innocent que c’était Halloween et qu’ils voulaient voir une sorcière…

Ces réactions de haine rendaient Josie extrêmement triste. Et ça l’était, triste. Josie Maboul était aliénée. Elle me faisait de la peine, les rares fois où elle ne m’énervait pas. Je me disais que cela devait être difficile de vivre ainsi et que ses accès de folie ne faisaient partie que d’un inextricable cercle vicieux. Sa vie ne devait être que souffrance et rejet perpétuel. Alors que dans le fond, elle était plus chiante que méchante et cherchait comme tout le monde à croquer sa part de bonheur dans le gâteau de la vie. Malheureusement, le monde était aussi imparfait qu’elle. Josie Maboul était dépassée par ce monde qui ne la comprenait pas et qu’elle ne comprenait pas davantage.

Moto-destruction

Un jour, une dame du quartier que je croisais souvent à la boulangerie devait m’expliquer que Josie avait une fille. La gamine s’était tirée à l’adolescence avec le premier motard venu pour échapper à sa mère. On ne l’avait jamais revue. «C’est difficile, vous savez, pour un enfant d’avoir à ce point honte de sa mère», avait ponctué la dame, «Je ne vous parle même pas du chagrin d’une mère abandonnée par son unique enfant». On nageait en plein Zola.

Depuis, Josie nourrissait une haine tenace contre les motards et leurs engins. Elle adorait leur crever les pneus quand elle trouvait le temps long. Ces préférés étaient les motos mal garées. Elles lui fournissaient sans le vouloir une excuse pour son forfait. Un des apprentis de la boulangerie avait dû faire installer une puissante alarme sur son scooter pour dissuader Josie de passer à l’acte. Dans le quartier, jeunes et vieux réfléchissaient à deux fois avant de faire l’acquisition d’un deux-roues.

Cette petite manie devait éclater au grand jour, un matin, alors qu’elle n’avait pu s’empêcher de s’en prendre à la moto d’un des deux policiers qu’elle avait appelé parce qu’une camionnette réfrigérante faisait trop de bruit sous ses fenêtres et menaçait, selon elle, d’exploser. La pulsion avait été trop forte, irrépressible. Tandis que les deux agents expliquaient leur présence, en s’excusant presque, au livreur et au boulanger, Josie s’était faufilée discrètement près d’un des bolides et avait donné un coup sec et rapide dans le caoutchouc du pneu avant avec son couteau de cuisine. Elle allait faire de même à l’arrière quand le boulanger l’a surprise et a invité les policiers à se retourner.

Des mois après, il n’était pas rare qu’un propriétaire de moto mal stationnée retrouve un de ses pneu mutilé. Josie n’avait-elle pas pu se retenir de frapper ou était-ce l’œuvre d’un copieur? Les victimes ne cherchaient pas à savoir et accusaient Josie qui niait en bloc et criait au complot. «Elle a bon dos ma marotte, ils ont trouvé cela pour avoir des pneus neufs sans rien débourser, oui!», lançait elle à qui voulait bien l’entendre.

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