Retour de soirée: l’homme et moi, bras dessus, bras dessous, ressemblons à deux oiseaux de paradis plumés et échevelés. Je titubais sur les talons de mes sandales trop hauts pour le petit matin et notre degré d’alcoolémie. Mon matou paresseux nous suivait en bondissant pour tenter de saisir les franges de mon sac qui flottaient dans l’air. Des étoiles brillaient sur le sol du bout de la rue.
Des étoiles? Nous étions ivres de fête, mais tout de même, les étoiles ne poussent pas au sol! Nous nous étions retournés la tête, mais pas au point de voir les étoiles la tête en bas. En fait d’objets stellaires, de fins débris de verre recouvraient les pavés et reflétaient les rayons encore timides du soleil blanc et matinal. Quelqu’un s’était acharné sur un des spots qui illuminaient la façade de notre café fétiche. Etait-ce le début de la guerre annoncée par Josie?
Le soir même, le patron avait remis de nouvelles ampoules et les spots illuminaient à nouveau la façade. Mais cela n’a pas duré longtemps. Quelqu’un avait à nouveau profité de la nuit pour replonger la façade dans le noir. Et cette fois, l’auteur de ce forfait ne s’est pas contenté de briser les ampoules, il a en plus sectionné les câbles électriques qui les alimentaient.
Le mur de la honte
Le patron a tiré de nouveaux câbles et installé de nouveaux spots. Cette fois, il était déterminé à ne pas se laisser faire et à prendre l’auteur de ces sabotages sur le fait. Après avoir longtemps hésité entre la technique moyen-âgeuse de l’huile chaude et celle du pot de peinture jaune fluorescent, il avait finalement opté pour la deuxième. Il a veillé deux nuits à la fenêtre du deuxième étage avant qu’une silhouette reconnaissable entre mille ne s’avance sans bruit avant de fondre sur les spots avec une masse. Ni une, ni deux, le patron a lâché le contenu du pot de peinture sur le vandale qui s’est empressé de déguerpir, semant derrière lui des traînées jaunes. Traînées qui se poursuivaient dans le hall d’entrée de notre immeuble et qui s’épaississaient devant la porte de Josie. L’histoire a fait le tour du quartier.
Josie allait-elle pour autant être calmée? Plutôt que de continuer à s’acharner sur les spots et refroidie par la peinture fluorescente, Josie a trouvé un stratagème pour s’accommoder de la lumière des spots le temps de faire fermer définitivement le bar. Elle a construit de bric et de broque une sorte de paravent en chutes de bois qui servaient à tendre des sacs en plastique bleu entre la façade et le bout du trottoir. Un mûr disgracieux de près de deux mètres de haut et de large! C’était d’un laid! Et cela ne servait pas à grand chose de toute manière étant donné que le plastique était translucide.
Nous devions le contourner tous les jours. Les autres habitants et moi avions l’impression de vivre chez les romanichels. Qu’elle classe! Déjà que nous supportions sans rien dire les paillassons dépareillés et le boudin à tête de crocodile qui gardait la porte d’entrée contre les courants d’air… Mais que faire, que dire? A part décapiter le reptile et démonter ce mûr de la honte?
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