Sur le sentier de la guerre

passage
«Que votre voisine ne passe plus devant chez moi ou je l’ébouillante ou autre chose. Tiens, je lui balance un seau d’eau glacé, de punaises, de pattes de tarentules! Enfin bref, je sais pas moi, mais en tout cas, qu’elle ne passe pas devant chez moi, c’est tout…»

Notre cafetier était énervé. Il venait de recevoir la visite de policiers et d’inspecteurs des services d’hygiène qui avaient tenus à vérifier si ces autorisations étaient en règle. «Comme si je n’avais que ça à faire! Passer mes journées à régler des problèmes que je n’aurais pas si votre voisine ne vivait pas dans le quartier. Cela va encore être un dialogue de sourd. Et en attendant, qui s’occupe de mon commerce? Qui passe les commandes? Qui s’occupe de tout ce qui est administratif? Qui prépare des soirées? Je vous le demande, si ce n’est pas moi…»

Non seulement, elle lui envoyait la police tous les quatre matins, mais «maintenant elle me nargue en plus». Il était à cran: «Elle vient de passer devant le café et elle a regardé à l’intérieur en pouffant comme pour me provoquer. Je suis allée à la fenêtre lui demander ce qu’elle voulait. Elle rigolait. Je l’ai remercié pour la visite de contrôle et elle a failli s’étrangler de rire. Une folle je vous dit! Une folle. Et c’est sur moi que ça tombe. Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ?»

Et Josie riait comme une gamine, avec légèreté et insouciance quant à la portée de ses actes.

«Fermé à tout jamais»

Le café l’obsédait. Josie Maboul vivait à son rythme et guettait le moindre faux pas pour pouvoir classer le dossier. Elle avait juré sa perte et rêvait de le voir afficher une pancarte «Fermé à tout jamais» sur la porte. Du coup, elle veillait en permanence. De toute manière, elle ne dormait plus et elle devait bien occuper ses journées.

Si à la seconde de la fermeture, elle voyait encore de la lumière derrière les stores, ni une, ni deux, elle bondissait sur son téléphone pour contacter la police et dénoncer ce qu’elle aurait aimé être une infraction. Pour Josie Maboul, l’heure, c’est l’heure. Et quand c’était le cas, le cafetier devait forcément «fermer», c’est-à-dire, dans le vocabulaire maboulien, éteindre les lumières et vider les lieux, dégager le plancher. Ranger et faire la caisse, Josie ne connaît pas.

Pire qu’un cerbère, Josie tenait à son os à ronger. Mais étant bien obligée – après que plusieurs personnes dont des experts le lui aient démontré – de reconnaître que les nuisances sonores occasionnées par l’établissement ne justifiaient pas ses insomnies, elle a dû trouver autre chose. «Et la lumière fut! Eureka! Bon sang, mais c’est bien sûr! Qu’elle est bonne mon idée! Les lumières…»

Donc, bizarrement depuis quelques semaines, c’étaient les spots qui éclairaient la façade et l’enseigne l’empêchaient de dormir. L’énorme réverbère planté devant la maison et qui dardait ses rayons en direction de la fenêtre de sa chambre ne l’avait pourtant depuis des années jamais empêché de dormir. D’autant qu’elle était insomniaque.

Soit. La lumière l’empêchait de dormir, donc de se lever le matin. Elle était championne du monde en excuses et experte en alibis foireux. Elle rejetait inlassablement la faute sur le Gimme Shelter, alors qu’elle fonctionnait déjà de cette manière bien avant son ouverture. C’était plus simple. Plutôt que de se regarder en face, elle se la voilait avec une facilité déconcertante. Josie Maboul m’a toujours étonné. Seulement qui blâmerait-elle si elle parvenait à mener à terme son entreprise avec succès?

Elle reporterait toute son attention sur autre chose, comme elle l’a toujours fait. Avant le café, il y a eu d’autres chimères, d’autres combats vains et stériles, mais qui la distrayaient de la vacuité de son existence. Il y a eu les jeux pour enfants dont les notices étaient mal traduites, les voitures mal stationnées, les fiantes de pigeons, l’huile piquante trop piquante, la pluie trop mouillée, le feu trop brûlant…

2 commentaires

  1. Le José · avril 8, 2016

    Aventures et mésaventures…On l’aime déjà, cette Josie. Continue Sophie, ça promet!

    • Sophie · avril 8, 2016

      Merci José! J’espère que tu vas aimer Josie encore longtemps. En tout cas, j’ai encore plein d’histoires rocambolesques dans les tiroirs parce que Josie ne s’améliore pas avec l’âge. Ce soir, tu vas pouvoir participer à une visite guidée du bar d’à côté, le Gimme Shelter à partir de 16 heures.