«Et de 174!», lance Chris en brandissant une feuille dactylographiée portant entête de la police. Notre voisine Josie avait donc déposé une énième plainte contre le bar Gimme Shelter. Ça avait commencé par le bruit de la musique et le tapage nocturne, puis Josie avait prétexté que les autorisations de Chris n’étaient pas en ordre et comme rien ne changeait, elle avait accusé le bar d’abriter des trafics de drogue et de la prostitution dans les étages. Cette fois, Josie accusait Chris de ne pas déclarer son personnel. Ce qui, certains soirs, n’était pas tout-à-fait faux.
«Je vais la tuer!», cria Chris en se précipitant dans la rue où Josie traînait, un balai tout pelé dans une main et une ramassette dans l’autre. Ma voisine aimait occuper ses après-midi à balayer la rue, car, disait-elle, les clients du bar jetaient leurs mégots de cigarettes n’importe où. Mais c’était aussi une bonne excuse pour espionner, l’air de rien, les allées et venues des habitants de notre impasse. Face à la tornade Chris, elle brandit son balai pour le tenir à distance. «Je vais te tuer!», menaça Chris en la pointant du doigt, puis il tourna les talons de ses baskets et regagna le bar où nous nous étions tous agglutinés à la fenêtre pour observer la scène. Josie continua de balayer devant le bar, un sourire sardonique aux lèvres.
Acte 1
Josie était tordue au coin de la rue à observer d’un mauvais œil les clients qui discutaient sur le trottoir devant le restaurant chinois. C’était l’été et les gens avaient tendance à s’attarder dehors la nuit venue pour profiter d’un peu de fraîcheur ou de la chaleur du soir. Sauf Josie. Passés 18°C, elle avait trop chaud, alors qu’elle déréglait régulièrement la chaudière pour qu’il fasse plus chaud dans son appartement. Grâce à elle, j’avais le chauffage au sol! Ce fameux soir, elle s’avança à la rencontre des clients pour leur demander de bien vouloir faire moins de bruit (J’y mets beaucoup plus de formes qu’elle). Ils l’empêchaient de dormir.
Les clients n’eurent pas le temps de lui répondre que Chris bondissait du trottoir d’en face. «Pardonnez-la, elle est extrêmement sensible. Venez Josie, j’ai un petit cadeau pour vous», lui dit-il en la poussant en direction de notre maison, «J’ai réfléchi et c’est trop idiot de se chamailler comme nous le faisons. Je vous prie de m’excuser.» De derrière son dos, Chris tira une jolie boîte colorée remplie de petits gâteaux et la tendit à Josie, qui radin et gourmande, lui arracha des mains et rentra chez elle. Chris afficha un grand sourire. La première étape de son plan était enclenchée.
Josie trouva ses petites douceurs sucrées fort bonnes. Elle leur fit un sort en quelques jours.
Josie trouva une boîte de truffes en chocolat sur son appuie-de-fenêtre. Bien calé sous un gros nœud rouge, un carton signé Chris: «Un client me les a offertes, mais je n’aime pas le chocolat. Vous en profiterez mieux que moi.» Josie se léchait les babines. Les truffes venaient de chez un grand chocolatier. La première phase du plan de Chris semblait plutôt bien fonctionner, mais pour que son plan fonctionne, il fallait que notre voisine mange ses petits cadeaux.
Le lendemain après-midi, elle revenait des courses tandis que Chris installait les quelques tables que Josie qualifiait de terrasse devant le Gimme Shelter. Leurs regards se croisèrent. Josie prit son air revêche. Chris afficha une mine inquiète et lui demanda si elle se sentait bien: «Tu as mauvaise mine, je trouve. Tu ne couves quand même pas quelque chose?» Josie détourna le regard puis s’engouffra à travers notre porte d’entrée. Le soir même, Chris lui fit porter une grande bouteille de jus d’oranges pressées «bourrée de vitamine C».
Le doute subsiste
Josie commençait à trouver étranges ces petites attentions. Ses plaintes avaient-elles finalement porté leurs fruits? Chris allait cependant devoir lui faire beaucoup plus de cadeaux s’il voulait qu’elle le laisse tranquille. Elle comptait bien profiter de ce que sa faible retraite ne pouvait lui offrir. Les trois jours qui suivirent, le serveur de Chris vint lui apporter du jus d’orange. Le samedi, il demanda à Frank de bien vouloir déposer des bananes devant sa porte. Le lundi suivant des litchees. Josie les dévora, même si elle ne mangeait pas de fruits exotiques parce qu’ils étaient récoltés par des «bamboulas».
A l’épicerie, elle s’étonna des cadeaux que lui offrait Chris. «Il achète mon silence», fanfaronna-t-elle, «S’il relâche ses attentions… Pouf!… une petite plainte! Personne ne résiste à Josie. Tout le monde finit par plier.»
La semaine qui suivit, Chris poursuivit ses offrandes et alla commander une bouteille d’antigel à l’épicerie. Trois bouteilles en deux semaines en plein été, l’épicier commençait à trouver cela saumâtre. D’autant qu’il avait appris en regardant sa série policière préférée que l’antigel pouvait causer la mort par empoisonnement.
To be continued…
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