Louis-Philippe et Antoinette avaient emménagé dans le quartier il y a peu. De quoi éveiller la curiosité de Josie Maboul. «On dirait des gens bien», m’avait-elle dit un soir où elle me tenait la jambe au sujet d’une ampoule de l’éclairage public qui ne fonctionnait plus. «Ils sont très chics.» Ce genre de chic qui impressionne les petites gens de province. Louis-Philippe trimballait son gros bide tout flasque dans des chemises en flanelle à manches courtes rentrées tant bien que mal dans un pantalon à pinces beigasse, ceinturé de croco noir. Il ne sortait jamais sans son blazer bleu marine croisé à boutons dorés, froissé dans le bas du dos. Aux pieds, il portait des chaussettes blanches dans des mocassins à gland vernis noirs. Antoinette changeait de tenue trois fois par jour: pour arroser ses bégonias à la fenêtre (elle allait les noyer à force), pour aller chercher le courrier, pour sortir faire des courses. Quand elle n’avait plus rien de neuf à mettre, elle ne se montrait plus. Alors Louis-Philippe ne l’attendait plus dans la voiture dans la rue pour annoncer à tous sa sortie prochaine. Ils sortaient discrètement en voiture du garage.
«Madame a beaucoup de belles toilettes différentes et il paraît qu’ils ont un yacht amarré quelque part», poursuivait Josie. Madame achetait ses vêtements par correspondance et si Madame en avait beaucoup, c’est qu’ils étaient fabriqués en Chine et de très mauvaise qualité. On voyait la cellulite de Madame à travers ses pantalons et ses jupes moulantes. «Il paraît qu’ils sont riches et qu’ils passent la moitié de l’année aux îles Canaries.» Ils y tiennent un camping pour touristes teutons habillés par le même catalogue par correspondance que Madame et aussi rougeôts que Monsieur, oui!
Un teint qui lui venait d’ailleurs de leur consommation excessive de vin rosé. «Je ne savais pas que les cavistes livraient à domicile. Toutes les deux semaines, un camion s’arrête devant chez eux. Ce doit être des gens importants!» De bons clients très certainement! «Une paroissienne m’a dit que Monsieur était fort apprécié. Il assiste à la messe le dimanche.» Ouais, ouais! Le curé voit la bourse qu’il croit bien pleine. Quant à Fifi, il croit que pour passer pour un bourgeois, il faut aller à l’église. «ça change, d’avoir des gens biens dans le quartier pour une fois!» Merci, donc je suis une merde…
Josie semblait fascinée par Fifi et Nenette. Elle les prenait au premier degré et ne réalisait pas que c’était des ploucs qui pétaient plus haut que leurs culs et tentaient de passer pour ce qu’ils n’étaient pas en essayant d’impressionner aussi ploucs qu’eux. Pourtant, ils n’étaient que deux énormes fautes de goût sur pattes. «Tu as vu tout les bijoux de Madame? Elle a des bagues à tous les doigts et des colliers et des bracelets.» Du toc acheté en grande surface, des imitations de cette marque commune en «ski» que les filles portent avec du Guess. Vulgaire. Nenette faisait vieille rombière malgré ses grands airs.
«Je suis certaine qu’ils ont rénové avec goût l’appartement de ma vieille amie Céline. Paix à son âme! Je vais les inviter à prendre le thé pour qu’ils m’invitent en retour. Comme ça, je verrai.» Josie, ta curiosité te perdra. Chez qui n’as-tu pas encore essayé de rentrer dans le quartier? Il y a néanmoins du progrès, cette fois, tu ne forçais pas le passage, tu essayais de te faire inviter. Je sens qu’ils vont adorer te snobber et t’étourdir de vide. Tu n’auras pas le temps d’en placer une. De toute manière, seules tes oreilles les intéressent. Le reste autour ne leur importe pas. Je devais toutefois leur tirer mon chapeau car, aussi loin que je me souvenais, personne n’avait jamais impressionné Josie. A moins qu’elle n’ait une idée derrière la tête…
Josie avait finalement réussi à se faire inviter chez Fifi et Nenette sans avoir à les inviter chez elle. Elle trainait dans la rue à l’heure de la sortie de la messe et avait bondi sur Louis-Philippe pour lui souhaiter bienvenue dans le quartier. Fifi l’avait invitée pour l’après-midi même. Il faisait d’une pierre deux coups: il n’aurait pas besoin d’écouter seul les délires de sa bourgeoise et il pouvait rayer une corvée de sa liste. Il rentra chez lui en tournicotant la pointe de sa moustache teinte en noir corbeau entre son pouce et son index, signe de grand contentement et de dégagement.
Antoinette allait être heureuse. Elle aimait être admirée et Josie adorait observer, espionner. Elles étaient faites pour s’entendre, pensa Fifi qu’une grenouille de bénitier avait averti des passe-temps de sa nouvelle voisine.
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