Diviser pour mieux régner

Entendu dans le bus qui m’emmenait au centre-ville retrouver le Viking: «Il paraît que la Fontaine de jade va fermer.» La Fontaine de jade était le restaurant chinois du quartier. Un quartier ou un village sans son restaurant chinois était considéré comme nombre de mes concitoyens gastronomes comme le trou du cul du monde. L’électricité nécessaire aux micro-ondes qui réchauffent les plats sous vide cuisinés par les frères Tang dans le 13ème à Paris, ne devait pas encore y avoir été installée.

Bref, le gastronome du quartier paraissait inquiet à l’idée de devoir faire une croix sur son saké du samedi soir et partait à la pêche aux informations auprès de son voisin de banquette.

  • Pourquoi fermerait-il? Il est plein tous les midis et certains soirs aussi. Qui t’a raconté cela, demande ce dernier.
  • Madame Olga. Il paraît que cette drôle de bonne femme qui s’attaque à tous les établissements du quartier aurait fait venir l’inspection sanitaire, répond le gastronome inquiet.
  • Josie Maboul? Elle est bien trop préoccupée par la terrasse du Gimme Shelter!
  • Madame Olga était formelle: cette dame aurait la preuve qu’on sert du chien à la Fontaine de Jade.
  • Voyons! Elle a aussi prétendu que les Bloodx Mary du Gimme Shelter étaient préparés avec du vrai sang humain d’enfants détenus dans leur cave…

«Vous n’y êtres pas!», les interrompt Thérèse, la shampouineuse du salon de coiffure Les Gens d’Hair, «Josie cherche à liguer les commerces du quartier contre le Gimme Shelter. Madame Olga avait le casque sur la tête quand Madame Yvonne est venue nous en parler.» Madame Yvonne était l’épicière du quartier. Tous les lundis, elle se rendait chez le coiffeur pour refaire son violet clair. Josie était venue la trouver samedi après-midi et lui aurait demandé, comme ça, l’air de rien, si son commerce ne soufrait pas trop de la concurrence du Gimme Shelter. «Quelle concurrence?», lui aurait demandé Madame Yvonne, «Je tiens une épicerie et le Gimme Shelter est un bar.» Josie lui a répondu qu’elle vendrait plus de boissons sans bar dans le quartier. Idem pour les chips et les cacahouètes.

Les uns contre les autres

Au salon de coiffure cet après-midi là se trouvait Carine, la serveuse de la Fontaine de jade. En pleine séance de manucure, elle s’était cassé un ongle pendant un entrainement de kung fu, elle ajouta avoir entendu Josie poser la même question à son patron, Monsieur Tou-In-Wan. Il avait tenté de lui expliquer que le Gimme Shelter et son restaurant n’attiraient pas la même clientèle, Josie avait insisté sur le fait que si le Gimme Shelter fermait, les gens viendraient boire des coups chez lui. «Mais je ne tiens pas un bar!», aurait rétorqué Monsieur Tou-In-Wan. «Ce serait peut-être une orientation à envisager si vous ne voulez pas mettre la clé sous la porte», lui avait suggéré Josie et d’ajouter, le regard mauvais: «Il paraît qu’au Gimme Shelter, ils déconseillent à leurs clients de manger chez vous. Vous serviriez du chien.» Monsieur Tou-In-One demeura impassible. Il savait que les frères Tang étaient très rigoureux et que les plats, même sous vide, étaient meilleurs que les hot dogs industriels servis comme en cas au Gimme Shelter.

«A propos hot dogs», la fille du boulanger a jaillit du bac à shampoing, «Josie est venu chez mon père aussi pour tenter de mettre de l’huile sur le feu. Elle parlait d’une pétition contre le Gimme Shelter et disait que nous vendrions plus de sandwich si les gens n’allaient pas manger chez eux.»

Pour Thérèse, la shampouineuse, c’était clair comme de l’eau après un rinçage, Josie tentait de liguer les commerces du quartier contre le bar. Connaissant ma voisine ce n’était pas impossible. Mon arrêt approchait. Quelle perfidie! Elle m’étonnera toujours.

 

 

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