Sous-textes et prétextes

Léger retour en arrière cette semaine dans les folles aventures de Josie Maboul, quelques semaines avant l’installation de la terrasse du Gimme Shelter et le calvaire que Josie m’a fait vivre.

On est samedi. Le premier de l’année où le mercure dépasse les 18°C. Le Viking et moi sommes allongés au milieu des pâquerettes dans un parc, au calme. Je pourrais me sentir aux anges si seulement je parvenais à me détendre. Le Viking me masse le dos, me fait des bisous dans le cou. Rien à faire! Je le rembarre. Je défoncerais bien un mur à défaut de pouvoir défoncer ma voisine.

Tout a commencé jeudi soir par un e-mail de Josie Maboul. Elle avait appris par radio-ragot que Chris envisageait d’installer «une terrasse» devant le Gimme Shelter. «Pour que cela ne se fasse pas, j’apprécierais votre aide. Car le café est aussi ouvert les dimanches. Surtout les matins, cela nous dérangerait considérablement », disait le mail. Josie avait même déjà écrit au bourgmestre et indiquait que l’installation d’une terrasse «peut être hyper désagréable», car nous entendrions «des voix en permanence» et «des gens qui vont nous voir rentrer et sortir chez de nous».

Et alors! Je zappais le mail en espérant qu’elle en resterait là et qu’elle se rendrait compte de l’étroitesse du trottoir et par conséquent de la taille extrêmement réduite de la dite «terrasse». Je m’étais montrée trop optimiste puisque ce matin, j’ai reçu un premier SMS: «Le patron du Gimme Shelter a installé 3 tables et 6 chaises. Un samedi matin à 10 heures… Si nous ne voulons pas être réveillés par ses clients, nous devons réagir auprès de la commune.» Dit celle qui a dormi jusqu’à midi pendant six ans alors que des marteaux-piqueurs étaient en action depuis 7h30!

Comme je ne répondais pas, un deuxième SMS de ma voisine est arrivé dix minutes plus tard: «Je pense que cette terrasse va baisser la valeur de notre immeuble en raison de la perte de discrétion et du bruit supplémentaire. Merci de réagir.»

Je décidais de ne pas davantage y répondre. Mais au fond de moi-même, avec mes années d’expérience de Josie Maboul, je savais qu’elle n’en resterait pas là. Dès lors, je redoutais la suite du harcèlement auquel elle allait inévitablement se livrer pour me faire craquer et arriver à ses fins. Sauf qu’aujourd’hui, elle n’obtiendrait rien de moi. Aujourd’hui, j’avais rendez-vous avec le Viking. Nous devions aller nous balader… On sonne à la porte. Le Viking ne doit arriver que dans une heure. Si c’est Josie, je n’ouvre pas. On sonne une deuxième fois. «C’est Josie, il faut qu’on parle de la terrasse!» Je ne réponds pas et continue de laver mes fraises. J’entends toquer à la porte par deux fois, puis plus rien. Je me concentre sur mes fruits et je pense au Viking pour ne pas ruminer la rage que je sens monter en moi.

Tout, tout de suite

Franchement, qu’est-ce que deux pauvres tables et quatre pauvres chaises pouvaient bien lui foutre! Rien de dramatique! Ah, quand les poivrots, les papies et les grandes gueules du coin passaient leurs journées à siffler les bières et les filles depuis le banc devant l’épicerie, elle ne mouftait pas parce qu’elle en avait peur. Il n’était pas question d’être réveillé à 10 heures le week-end, ni de dévaluation ou de vie privée. Elle me fait bien rire avec sa vie privée, la commère du quartier! Quand je rentre chez moi, je rentre chez moi! Je n’ai rien à me reprocher donc je ne vois pas en quoi je pourrais me trouver dérangée si des clients me voient… Tu as peur d’avoir trop de public quand tu balayes la rue? Le pire, c’est d’aller enquiquiner le bourgmestre avec ses conneries.

Du calme ma grande, du calme! Le Viking vient d’arriver. Il faut que je vide mon sac: «Je te parie qu’elle ne va pas me lâcher du week-end. Je la connais, elle est partie en guerre contre tous les commerces qui ont ouvert à un kilomètre à la ronde. Elle ne supporte pas le changement. Elle ne comprend pas que notre ville évolue, que les modes de vie changent.» «Pourquoi ne déménage-t-elle pas à la campagne?», me demande le Viking naïvement. «Parce que là, elle cesserait totalement d’exister, mon grand. Elle n’aurait plus l’attention de personne, car les gens y vivent de manière plus isolée. Et puis, elle serait capable de s’énerver contre les vaches qui pètent trop, les tracteurs qui roulent trop vite ou les coqs qui chantent trop tôt… Il a fallu qu’elle me tombe dessus à moi!» «Allez, viens allons au parc oublier tout ça!», me suggère le Viking. «Combien tu paries qu’à notre retour, il y aura un post-it collé sur ma porte ou une feuille glissée sous ma porte?»

Josie devait être à courte de post-it, car en rentrant, je ne trouvais rien sur mon palier. Ma voisine n’avait pas pour autant dit son dernier mot. Vers 22 heures, elle sonnait à nouveau à ma porte. Une fois, puis elle toqua et sonna de plus belle. Je me mordais l’intérieur des joues pour ne pas bondir et lui gueuler dessus. Zen ma grande, zen! Une heure plus tard, j’entends que quelqu’un se trouve sur mon palier. Non!?! Ne me dis pas qu’elle va sonner une nouvelle fois!?! Alors que mon coeur fait un bond, je vois une feuille vert fluorescent apparaître sous la porte. C’aurait pu en devenir risible si je ne craignais pas qu’elle intensifie ses actions le lendemain.

La vérité est ailleurs

Pendant une semaine, j’ai prié pour ne pas la croiser dans les parties communes et éviter qu’elle ne me tienne la jambe pour se plaindre comme d’habitude et me reprocher de ne pas m’investir pour le quartier. Mais je dois reconnaître qu’elle ne s’est pas montrée de la semaine. Frank m’a confirmé qu’il avait reçu les mêmes mails et SMS que ceux qui m’avaient été adressés. Il avait appris du copain de son kiné qui était juriste à la mairie que Josie avait multiplié les courriers au bourgmestre, dans lesquels elle se plaignait d’à peu près tous les commerces du quartier.

Et puis, le samedi matin suivant, un nouveau mail: «Pour info: le service de la voirie a donné une autorisation provisoire à Chris. Le bourgmestre doit encore signer. Pendant la semaine, c’est supportable (mais entrer dans la maison est des fois pénible pour moi), sauf dimanche passé où les promeneurs dehors faisaient un bruit à mieux fermer les fenêtres. Je trouve que l’office du tourisme envoie un peu trop de monde par ici. Pourrions-nous réfléchir à l’installation d’une autre porte d’entrée, sur le côté de la maison? S’arrêter les weekends pour décharger les courses va être compliqué, la place handicapée est souvent prise et s’arrêter devant la maison est à mes yeux pénible avec la terrasse.»

Donc si je résume: elle s’est mis tout le quartier à dos avec ses crises de folie et craint de se faire insulter en mettant le nez dehors, du coup toutes les excuses sont bonnes pour sauver «SA» face. On avait même la permission de stationner sur la place handicapée sans être dénoncé à la police! Elle est vraiment prête à tout. Même à dépenser une fortune – qu’elle n’a jusqu’à preuve du contraire pas – pour créer une nouvelle porte d’entrée à un endroit totalement inadapté. Quand aux courses, Frank et moi, nous faisons livrer par un charmant jeune homme qu’elle s’est permis d’insulter parce que sa camionnette était stationnée devant la maison.

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