La musique adoucit les mœurs. Tu parles! L’éminent auteur de cette phrase devenue proverbe utilisé à tord et à travers, n’a pas connu Céline Dion et surtout, SURTOUT, n’avait pas de piano en libre service sous ses fenêtres. Heureux homme dont les oreilles n’ont jamais été confrontées à des cacophonies qui auraient pu lui faire ravaler cette phrase. En ce qui me concerne, j’ai envie de fracasser ce p**tain de piano avec une masse pour me détendre… à défaut de pouvoir m’en prendre aux pianistes en claquant violement le rabat du clavier sur leurs doigts.
Comme je suis quelqu’un de civilisé qui ne supporterait pas d’être enfermée avec d’autres femmes, je me retiens depuis une semaine de dégainer mon tube de colle-à-bois. Et puis, j’ai pitié de ce vieux piano fatigué, dur de la touche et dont le clavier n’a pas été effleuré par un pianiste potable depuis bien longtemps. L’idée de disséminer des pianos en libre service un peu partout dans la ville est excellente – chacun peut se laisser tenter, des vocations vont peut-être naître… etc -, mais elle l’est moins dans les quartiers où des gens vivent.
Ces Urban Pianos sont parfaits dans les parcs ou sur les places du centre-ville, là où les nuisances occasionnées par les pianistes du dimanche (et du reste de la semaine aussi!) ne risquent pas de durcir les mœurs de riverains. Depuis une semaine et pour une dizaine de jours encore, je subis les élans créatifs des musiciens amateurs. Je suis toutefois reconnaissante à la Ville d’avoir limité cette initiative dans le temps et lui suggère d’engager de vrais pianistes pour animer les quartiers et adoucir les mœurs de leurs habitants.
Torture sonore
Car si la bonne musique a pour effet de réduire les concentrations sanguines en hormones du stress et à faire disparaître les tensions, ce que je subis depuis une semaine, aurait plutôt l’effet inverse. Dès huit heures du matin et jusqu’à 8 heures du soir, heure où heureusement les pianos sont verrouillés, mes oreilles sont confrontées à la pire des horreurs quand on se prétend mélomane: un grand n’importe quoi s’apparentant à de la torture sonore.
Oui, je vais loin! Mais si vous deviez comme moi vous farcir des improvisations de bambins trop petits pour voir les touches et jouissant d’une vitalité toute enfantine, vous me comprendriez. Je n’en puis plus d’entendre les gens s’essayer à ne pas massacrer «Au clair de la Lune», « Frère Jacques», «La lettre à Elise» ou «Joyeux anniversaire» à longueur de journée ou de sursauter parce que je ne sais quel plaisantin trouve drôle de sauter soudainement sur le clavier. Et puis, il y a cet individu persévérant qui chaque soir, pendant deux ou trois heures d’affilée, reprend sans discontinuer la même introduction d’un morceau non-identifié encore et encore, chutant systématiquement à la même note. Air, qui bien entendu me trotte dans la tête tout le restant de la soirée… Bam bam, bam-bam bam, bam bam-bam…
Depuis une semaine, je me réveille piano, je me brosse les dents piano, je mange piano, j’écris piano, j’écoute la radio piano, je regarde la télévision piano… Je n’entends plus que lui! Il est omniprésent, sauf quand je passe l’aspirateur.
Je ne supporte plus cette cacophonie d’auteurs anonymes qui aurait pu être utilisée à Guantanamo pour faire parler les prisonniers. Je rêve de morceaux qui me détendraient effectivement au lieu de me crisper au point d’en avoir mal à la nuque et de ne plus parvenir à me concentrer sur des tâches pourtant élémentaires. Mais je résisterai! Je ne m’enfoncerai pas de boules Quiès dans les oreilles, ni ne me promènerai avec un casque sur la tête quand je ne peux pas fuir dans un parc «urban piano free» parce qu’il fait mauvais ou que j’ai des choses à faire chez moi. Bref, Mesdames et Messieurs les édiles, si vous me lisez, svp pour l’an prochain, veuillez ne plus installer d’Urban Piano aussi près des habitations. A bon entendeur! Je vous laisse, il ne me reste plus qu’à espérer que les gens vont se lasser avant le 18 juin.
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