« Ronde de nuit, dans les ruelles noires, drôle de vie, pour Willy Brouillard, le flicard » (Renaud)
2 heures du matin. Des voix d’hommes et des bruits de course me réveillent. Ma chambre est baignée d’une lumière bleu électrique. Sur l’oreiller à ma droite, mon chat fait la tête. Il se dresse, étire ses pates avant et se réfugie mollement sous la couette. Je l’y rejoints et ferme les yeux, mais la tentation de savoir ce qui se passe dans la rue est trop forte. Je m’assoie au bord du lit et me penche à la fenêtre en me frottant les yeux pour les garder ouverts. Entre les lames des stores, j’aperçois des voitures de police et des paniers à salade, gyrophares allumés.
Trois cambriolages avaient été commis dans le quartier en moins d’un mois. Le Viking avait tenu à installer un cadenas supplémentaire sur la porte de mon appartement. J’avais eu beau protester et lui dire qu’avec Josie au rez-de-chaussée, je ne risquais rien, il avait insisté. Il disait qu’il se sentirait mieux s’il me savait en sécurité. (Ndlr: Tu n’as qu’à passer la nuit avec elle si tu as peur qu’il lui arrive quelque chose, triple buse scandinave. Ah les hommes, je vous jure !)
Josie Lescaut
Josie était meilleure qu’un chien de garde. Elle entendait tout, voyait tout et surtout, elle ne dormait jamais. Elle avait prévenu la police quand j’avais prêté mon appartement à mon frère. Elle avait prévenu la police quand j’avais fêté un de mes anniversaires au Gimme Shelter et demandé à des amis de porter les cadeaux chez moi. Josie connaissait le numéro de la police par cœur.
Depuis le premier cambriolage, il y a deux semaines, Josie s’en voulait de n’avoir rien vu et rien entendu. Il en allait de sa réputation. Elle aurait dû remarquer quelque chose d’inhabituel: allées et venues d’étrangers un peu trop curieux, véhicules inconnus, signes à la craie sur les trottoirs… Il était difficile de différencier les clients du Gimme Shelter de criminels potentiels, pensait Josie. Au moins avant, quand le quartier vivait en vase clos, sans tous ces étrangers, il était plus simple de savoir si on était en présence d’un honnête citoyen ou pas.
Après le troisième cambriolage, dont une amie de Josie avait été la victime, elle décida de se substituer aux forces de l’ordre qui piétinaient et d’effectuer ses propres rondes. Dans un carnet, elle notait les heures d’arrivée et de départ ainsi que les plaques d’immatriculation et la marque des véhicules qui passaient dans le quartier. Elle notait également les caractéristiques physiques et vestimentaires des personnes qu’elle observait. Elle interrogeait aussi les habitants à la sortie de la messe et des commerces du quartier. Elle avait même demandé à Chris, le patron du Gimme Shelter, d’ouvrir l’œil sur ses clients.
Josie avait même adopté un succédané de berger allemand. Il l’accompagnait lors de ses tournées du quartier. L’animal lui serait utile tant que les cambrioleurs ne seraient pas arrêtés. Après, elle le ramènerait à l’asile d’où il venait. Il ne lui obéissait pas et tirait trop fort sur sa laisse. Josie n’arrivait presque pas à le suivre. En outre, le corniaud faisait le beau devant tout le monde. Tu parles d’un chien de garde, mon matou était plus agressif!
Surveillance discrète
Depuis la fenêtre de ma chambre où mon matou était finalement venu me rejoindre, j’observais le va-et-vient des agents de police. Quelqu’un avait dû voir les cambrioleurs et avait alerté la police. Un agent était caché à l’angle de la rue. Il fit un signe discret à trois autres agents postés un peu plus loin de le suivre. Armes aux poings, les quatre hommes se sont précipités en direction d’un bosquet derrière lequel leur chef avait vu quelque chose bouger. Rien! Chou blanc! Les quatre policiers passèrent le petit parking devant l’église au peigne fin. Toujours rien! Leurs collègues quadrillaient les rues alentours et balayaient les pavés et les façades des faisceaux de leurs torches.
Mon chat et moi nous livrons à un concours de baillements. C’était à celui qui ouvrirait le plus grand la bouche. Je partais avec un net avantage, alors mon matou m’a lancé un regard agacé, montré ses fesses et a retrouvé sa place sur l’oreiller.
La queue sur la truffe, il ne dormait que d’un oeil. J’hésitais à le rejoindre quand à gauche de la maison je vis sedécouper les silhouettes de deux policiers en entourant une troisième. On dirait une femme ou un homme très laid déguisé en femme… L’ombre se débattait, mais les agents tenaient bon. Ils faisaient plus d’une tête de plus que leur prisonnier… ou plutôt que Josie! Le trio venait de passer sous un réverbère et j’avais reconnu ma voisine. Les cambrioleurs, c’était-elle? J’étais stupéfaite! A force de sonner chez tout le monde, elle connaissait tous les habitants du quartier et leurs logements mais c’était matériellement impossible qu’elle ait agi seule et qu’on puisse lui imputer les cambriolages. L’inspecteur de police arrivé en voiture banalisée n’y croyait pas non plus. A travers ma fenêtre entr’ouverte, j’entendais l’inspecteur interroger Josie sur sa présence en pleine rue à une heure pareille.
– Je faisais ma ronde, répond-elle.
– Une ronde!
– Oui, il faut bien que quelqu’un fasse le travail à votre place!
Josie avait l’air en forme. L’inspecteur ne se doutait pas de quoi la vieille dame insomniaque que ses hommes venaient d’appréhender était capable.
– Sachez Madame que le quartier faisait l’objet d’une surveillance discrète.
– La bonne excuse! C’est la meilleure, ça! Elle marche d’habitude?
– Plus maintenant. Grâce à vous, les cambrioleurs vont savoir que nous les attendions.
– Voulez-vous dire par là que si les cambrioleurs ne sévissent plus dans le quartier ce sera grâce à moi?
– Je veux dire que si nous n’arrivons pas à mettre la main sur eux, ce sera de votre faute. Ils vous doivent une fière chandelle.
– Vous avez une drôle de manière de traiter les bons citoyens, jeune homme. Heureusement pour la société qu’il existe encore des personnes comme moi sinon ce serait le chaos.
Josie était exaspérante! Un des agents debout derrière l’inspecteur avait du mal de se retenir de pouffer de rire.
– Donc vous faisiez votre ronde. Toute seule et en pleine nuit?
– Oui! Avec ce bâtard de l’asile. Vos hommes ne l’ont pas retrouvé par hasard? Ce con s’est barré à la poursuite d’un sac-à-puce. Je l’ai cherché dans tout le quartier…
– Vous en faites souvent?
– Posez la question à vos hommes! S’il effectuaient bien une surveillance discrète, ils ont dû me croiser.
– Je n’y manquerai pas. Rentrez chez vous maintenant et évitez de mettre le nez dehors seule la nuit.
– Si vous retrouvez mon imbécile d’animal, rendez-le à l’asile. Je n’en ai plus besoin.
Josie avait attiré sur elle l’attention des policiers en surveillance discrète en parcourant le quartier à la recherche de son chien. D’un toit sur lequel ils étaient perchés, ils avaient observé une ombre équipée d’une torche circuler dans le quartier de manière organisée. L’ombre devait bien connaître le quartier, donc l’avoir bien repéré, et elle devait observer les rues avant de frapper au bon endroit. Les très discrets agents avaient appelé la cavalerie.
Grâce à Josie le gang de cambrioleurs court toujours, mais il n’a plus remis les pieds dans le quartier.
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