Mes aïeux, je suis une fille du coin!

Moi qui rêvait d’origines aussi exotiques que ma tache mongole, je dois me rendre à l’évidence : je suis une fille du coin. Ni vraiment française, ni vraiment belge, ni vraiment luxembourgeoise. Je suis une enfant de la diversité des nations qui se sont partagées les territoires où ont vécu et se sont reproduit mes ancêtres.

Je n’ai donc pas parmi mes ascendants de chef de tribu berbère, de conquistador, d’archer mongol ou de révolutionnaire parisien un brin artiste sur les bords. Jusqu’à preuve du contraire ou de la découverte de documents antérieurs à 1700, mes ancêtres sont Lorrains, Meusiens, Ardennais, Gaumais et Luxembourgeois. A priori ni Bourguignons, ni Espagnols, comme il se murmurait lors des dîners de famille. Les Kieffer, les Faber, les Jamain, les Lobet, les Brosius et les Margue sont nés de part et d’autre des frontières actuelles du Luxembourg, de la Belgique et de la France. Frontières qui ont été maintes fois redessinées au fil des chamboulements de l’histoire européenne.

Rien de bien sexy, si ce n’est les trois générations de femmes desquelles je suis issue. Des bombes anatomiques, pin-ups d’avions de chasse ou femmes à poigne au regard doux. Mon arrière grand-mère Victorine aurait donné des complexes à Hedy Lamarr et Grace Kelly. Mon seul espoir d’exotisme serait donc qu’une de mes très lointaines ancêtres ait été séduite par un téméraire guerrier Hun qui transportait des steaks sous la selle de son cheval – on aime bien la bidoche dans la famille et mon arrière-grand-père Margue et ses deux frères étaient bouchers! – ou que l’un de mes lointains ancêtres soit arrivé dans la région avant l’invention des registres d’état civil.

En fin de compte (des souvenirs de cours d’histoire et quelques vérifications sur Wikipédia), il s’avère que ceux que mes amis et frères luxembourgeois surnommeraient amicalement «Heckefranzous» sont issus du comté de Luxembourg. La même terre que celles de leurs ancêtres. Après, c’est une question de culture.

Pas de grands voyageurs

Les résultats de recherches généalogiques ont anéanti nos envies d’ailleurs et de différence. Mais d’où mon «Bopa» paternel tenait-il sa tête de métèque? Lorrain-Alsacien, il n’avait pas vraiment le physique de l’Est la France, plutôt de l’Est de l’Orient. Né allemand par son père – la faute à la géopolitique locale –, il n’aurait pas fait un bon arien. Albert est tombé amoureux de Juliette, grande blonde aux yeux clairs, une belle plante belge de la province du Luxembourg. Je ne sais pas grand chose d’eux. Je me demande si la vie simple qu’ils ont vécu leur laissait le temps de se poser des questions existentielles.

Du côté maternel, on n’était pas non plus de grands voyageurs. Mes arrières arrières grand-mères sont nées dans la province de Luxembourg. L’une de mes arrières grands-mères, Victorine Brosius, est née à Aubange en Belgique en 1906. L’autre, Emma Lobet venait de Biourge dans les Ardennes belges. Rien de très espagnol. Si ce n’est les pommettes saillantes et l’épaisse tignasse brune. A moins qu’un soldat des Pays-Bas espagnols stationné à Luxembourg n’ait fréquenté une de mes ancêtres… On a toujours eu un faible pour l’uniforme dans la famille.

Elles ont elles-mêmes donné naissance à ma grand-mère Germaine Margue-Brosius. Et à mon grand-père Arsène Jamain. Tout un programme! Ma grand-mère détestait son prénom et sa mère parce qu’elle avait un goût douteux en la matière et qu’elle était plus belle qu’elle. Ah les femmes! En même temps, je n’aurais pas voulu m’appeler Germaine. Dans ma famille, on a toujours été de culture latine, proche de la France, bercés par ses chansons et sa culture. Victorine, ma chérie, où es-tu allée pêcher ce prénom? Elle a remis ça, à la naissance de ma maman qui a échappé de justesse à Mercedes. Deutsche Qualität ou besoin de vacances?

 Folie douce en héritage

Petite fille, j’adorais aller chez mon arrière grand-mère Victorine. Elle avait plus d’imagination que ma grand-mère mais était moins bonne cuisinière. On allait prendre le thé chez «la Boset», une amie brocanteuse, dans une caverne d’alibaba d’objets tous plus intrigants les uns que les autres auxquels j’imaginais des provenances lointaines et des histoires extraordinaires. Ou bien, elle étalait des rouleaux de tapisserie sur le sol de sa cuisine pour dessiner. Nous nous couchions dessus et griffonnions des animaux fantastiques avec ses vieux fards, rouge-à-lèvres ou crayons khôl. Elle dessinait des oiseaux. Elle les aimait. On leur avait même fait un cimetière au fond du jardin. On écoutait Julio Iglesias en grignotant des gâteaux un peu rances dans des canapés style Empire.

Mon grand-père Jamain était un costaud à chemise à carreaux comme dans les westerns américains, mais il était beau comme Jean Marais. Arsène fumait (trop), picolait (trop), ça le mènera à sa perte. J’avais trouvé en lui un maître en matière de folie douce. Il m’emmenait discuter avec un vrai prince, pêcher dans 5 centimètres d’eau avec un bâton et de la ficelle, manger des tartes aux cerises au bistrot du coin pendant qu’il sirotait des blondes et fumait des brunes… Il était Johan Cruyff, j’étais George Best. On dessinait pendant des heures. Il a mis trois ans à m’installer une balançoire, mais je m’en fichais. Il m’apportait un verre de jus à 3 heures du matin et puis, un jour, il est devenu vieux et usé par les excès et ma grand-mère.

C’était l’Ardennais de la bande. Infoutu d’apprendre trois mots de luxembourgeois et franchement, pourquoi? Ca lui aurait fait une belle jambe au bout de son bras! De mémoire de Jamain, on était meusien depuis Toussaint Jamain en 1653. Français du département des forêts. A l’époque point encore de Belgique ou de Luxembourg. Deux siècles, un Didier, un Jean et trois Jean-François plus tard, les Jamain se sont installés à Aubange. Un saut de puce depuis Velosne. Le quatrième JF aussi appelé Arsène, ingénieur des Mines de son état, a épousé Elisabethe Peny qui lui a donné trois fils: Fernand, Albert et Victor, mon arrière grand-père que je n’ai pas connu. Le mari d’Emma et le papa d’Arsène.

Je ne l’ai rencontré que récemment après avoir récupéré des photos de famille suite au décès de ma grand-tante Paule. Avec sa tête de garnement à casquette, il allait s’asseoir sur le talus en face de la ferme natale d’Emma des après-midis entiers jusqu’à ce qu’il obtienne sa main. Mon grand-père a repris plus ou moins la même technique. Avec leurs gueules d’arsouilles et leurs oreilles décollées, difficile de leur résister… enfin, je crois. Je n’ai que mes souvenirs romancés de chipie et à l’époque, je n’avais pas encore conscience de leur caractère de cochon maintes fois déploré par les femmes de la famille.

Fière d’en être

C’étaient des personnages, les Jamain, les Kieffer et compagnie. Des gens pas si ordinaires finalement, même s’ils venaient du champs d’à-côté. Des gens à qui je dois d’être ce que je suis aujourd’hui, à qui je ressemble, alors pourquoi cracher dans la soupe? Ils avaient la classe, l’éducation, la beauté, la culture, le respect, un grain de folie et même une dose de romanesque.

Mon arrière grand-oncle Albert Jamain était pharmacien à Bruxelles. Sa stupéfiante épouse et lui consommaient des cocktails planants faits maison qui leur ont été fatals. Le pompon du romanesque revient à leur fils Claude. Mon arrière petit-cousin était marin dans la marchande belge. Petite fille, je me souviens de mon grand-père mimant des gardes et me racontant que son cousin était devenu boxeur dans les années 1950-60. Il omettait de me dire qu’au moment où il m’apprenait ce qu’était un coup de poing, le cousin en question était sans doute encore en taule. Maman m’a raconté récemment qu’il avait tué le mari de sa maitresse. Crime passionnel. Il suffit d’un bon uppercut dans le pif et paf!

Nous sommes spéciaux sans être hors du commun et c’est déjà pas mal. Nous pourrions être quelconques, lambda, vulgaires… Je suis fière de ne pas l’être grâce à mes aïeux.

2 commentaires

  1. Peggy · mai 5, 2017

    I am extremely impressed with your writing skills and also with the layout on your blog. Is this a paid theme or did you modify it yourself? Anyway keep up the excellent quality writing, it is rare to see a great blog like this one nosd.aywa.

    • Sophie · mai 5, 2017

      Thanks very much Peggy! The theme is free and fully adaptable to your needs and wants.
      If you know people reading french, invite them to visit the blog to help me become a famous blogger.