L’inconnu de la ligne 27 (Partie 3)

Lettre d'amour pour lui

« Vous ne me connaissez pas, je ne vous connais pas non plus d’ailleurs. J’ai pris la liberté de vous écrire cette lettre dans l’espoir que nous faisions connaissance. Je prends chaque jour depuis deux ans le même bus que vous. Vous ne m’avez sans doute pas remarquée. Je suis toujours assise à l’arrière, sur la banquette surélevée. Je m’y suis installée pour mieux pouvoir vous observer. » Je ne peux pas écrire ça, il va me prendre pour une psychopathe, se dit Josie et de biffer la phrase. « Je vous vois passer devant moi avec un livre, un journal ou votre carnet de notes. Vous m’intriguez. J’aimerais vous connaître, découvrir les pensées si précieuses que vous notez passionnément, savoir qui vous êtes, ce que vous aimez… » Ne va pas trop loin quand même, il ne faudrait pas que tu lui donnes l’impression d’être trop pressée. Il parait que ça fait fuir les hommes et que cela leur donne une mauvaise image de toi. « Je vous trouve charmant. Vous avez l’air poli et gentil. » Stop ! Efface-moi ça tout de suite ! Invite-le sur ton canapé tout de suite tant que tu y es ! « Je vous trouve charmant. Je vous propose de nous rencontrer. Je vous attendrai samedi de la semaine prochaine à 15 heures sur le quai de la ligne 27 devant la gare. J’espère vous y retrouver. Amicalement, Josie »

Josie prit sa plus belle plume, un cadeau de communion d’un oncle ou d’une tante qui manquait d’imagination, et recopia ce brouillon sur un élégant papier à lettres tiré d’un coffret, lui aussi certainement offert par un membre de sa famille. Quand elle eut terminé, elle plia la lettre dans une enveloppe assortie qu’elle referma avec soin en léchant la bande de colle du bout de la langue. Elle aimait son goût amer et cette sensation poisseuse qui envahissait sa bouche. Il ne restait plus qu’à transmettre la missive à son destinataire. Josie ne savait pas bien comment s’y prendre. Elle s’imaginait frôler le jeune homme et glisser l’enveloppe dans la poche de son pardessus. A moins qu’il n’ait les poches cousues. Il était toujours bien mis et semblait prendre soin de ses affaires, il ne pouvait en être autrement. Josie ne pouvait se permettre que la lettre tombe à terre et se fasse piétiner par les autres passagers, mais il était hors de question qu’elle la lui remette en mains propres. Il l’impressionnait bien trop pour cela. Elle allait tenter de glisser la lettre dans sa mallette.

Le lendemain, Josie monta dans le bus et ne s’installa pas à sa place habituelle, mais à la surprise des autres passagers, alla s’asseoir à l’avant non loin de la place qu’occupait généralement le jeune homme. Elle n’aurait qu’à tendre le bras pour transmettre discrètement son invitation. Pour une fois dans la vie de Josie, tout se passa comme sur des roulettes. Le jeune homme s’installa à un siège d’elle. Il ouvrit sa mallette pour en tirer son carnet de notes et la posa au sol. Josie en profita pour tirer la lettre de la poche de son manteau et insinuer son bras entre les jambes de passagers restés debout pour la déposer dans la mallette du jeune homme. Ne restait plus qu’à patienter jusqu’au jour du rendez-vous.

Hésitations

Josie en rêvait la nuit. Il lui arrivait de se réveiller en sursaut parce qu’elle était arrivée en retard au rendez-vous pour une obscure raison qui n’est possible que dans les rêves. D’autres fois, elle se réveillait en sueur. Mais elle s’endormait chaque soir en pensant à la rencontre. Derrière ses paupières fermées, elle l’imaginait qui courrait vers elle au ralenti d’un quai de la gare des bus à l’autre dans sa direction et se jetait dans ses bras pour l’embrasser… « Non, je ne veux pas qu’il m’embrasse ! Pas si vite ! D’abord on fait connaissance et ensuite on ira éventuellement plus loin. Je ne suis pas une fille facile ! » Josie paniquait. Cette rencontre tant souhaitée la terrifiait. Le matin même, elle commença à hésiter : et si elle ne si rendait pas ? « Si tu n’y vas pas tu ne sauras jamais s’il a répondu à ton invitation », lui souffla sa conscience. « Il ne viendra pas. Il n’était pas dans le bus cette semaine. Il cherche à m’éviter », se dit Josie. « Il est peut-être en congés », rétorqua sa conscience. « Arrête de lui trouver des excuses ! Et si je ne suis pas celle qu’il attend ? Ce rendez-vous est une idiotie », rétorqua-t-elle.

Guidée par sa conscience, elle s’y rendit quand même, mais se cacha derrière l’affiche publicitaire d’un arrêt de bus. De là, elle avait une vue globale sur toute la place de la gare et la gare routière. Des bus arrivaient les uns après les autres, des gens en montaient et en descendaient. Le jeune homme n’en faisait pas partie. Josie ne l’avait pas non plus aperçu dans le flot de personnes qui quittaient la gare. « Je l’avais bien dit. Il ne viendra pas », dit-elle à sa conscience. « Si tu restes cachée, il ne risque pas de te repérer et de venir vers toi. Allez, montre-toi ! », lui répondit cette dernière. Josie tenta une sortie. Le jeune homme avait dépassé le quart d’heure de politesse. Trente minutes plus tard, Josie alla se réchauffer avec un Irish Whisky à la brasserie de la gare. Elle ne vit pas le jeune homme se précipiter hors de la gare une rose à la main. Son train avait été immobilisé en pleine voie pendant près de trois quarts d’heure.

Josie paya sa consommation et rentra chez elle. Le jeune homme donna la rose à une passante au hasard et s’installa dans le train du retour. Josie ne prit plus jamais le bus habituel et ne revit plus jamais le jeune homme. Le jeune homme, quant à lui, remarqua rapidement que la jeune fille discrète n’occupait plus sa place à l’arrière du bus.

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