Josie hantait le quartier en projetant des ombres fantomatiques à la faveur des réverbères. Son corps frêle et tordu se répandait sur les façades au fur et à mesure qu’elle progressait sur les trottoirs luisants de pluie. Si elle n’était apparue au coin de la rue, on aurait pu croire qu’un être surnaturel et effrayant visitait notre quartier, débarqué ici par un éclair de l’orage qui s’éloignait déjà vers l’est. Trempée jusqu’à l’os, les cheveux filasses dégoulinants et le parapluie retourné comme une chaussette, elle pestait contre le bon Dieu et les éléments. L’orage l’avait surprise lors de sa tournée quotidienne du quartier. Il l’avait empêché de répertorier toutes les voitures mal garées et l’avait contrainte à rebrousser chemin alors qu’elle voulait mener l’enquête autour du domicile d’un voisin.
Le carré de pelouse devant la maison d’un monsieur du quartier poussait de manière trop anarchique à son goût et des prospectus de publicité s’amoncelaient dans sa boîte-aux-lettres. Elle passait devant la maison chaque jour depuis une semaine en espérant une amélioration, mais ou le vieux avait cassé sa pipe ou c’était sa tondeuse. Josie s’inquiétait moins pour le pauvre vieux que pour la vision de désolation qu’offrait un jardinet mal entretenu. Avec les trombes d’eau qui s’abattaient sur le quartier ces derniers jours, le gazon et les mauvaises herbes n’allaient plus s’arrêter de pousser et si le vieux ne réapparaissait pas, Josie se sentirait obligée de tondre son jardin, de nettoyer ses bordures et de vider sa boîte-aux-lettres.
Ce soir, elle voulait tourner autour de la maison pour voir si des lumières y étaient allumées et si donc, le vieux était chez lui. Elle escaladait la palissade qui séparait le jardinet de l’arrière de la maison quand elle a été surprise par l’orage.
Josie mène l’enquête
L’homme en question était un personnage sombre aux habitudes tenaces. Il ne quittait jamais son trench camel élimé au col et aux manches et sa vie était réglé comme un coucou suisse. Trois fois par jour, toujours à la même heure, il montait dans sa voiture et partait petit-déjeuner, déjeuner ou dîner. Personne ne savait vraiment où, mais certains l’avaient vu traîner sa longue carcasse translucide dans les supermarchés du coin. Toujours seul et peu avenant. Ses cheveux noir noyés de gomina étaient plaqués sur son crâne de part et d’autre d’une raie aussi blanche que l’était sa moustache. Son allure générale et sa maison dont il ne remontait jamais les volets laissaient penser qu’il vivait hors du temps et du monde qui l’entourait.
Un bien énigmatique personnage qui avait tapé dans l’oeil de ma tout aussi étrange et observatrice voisine. Il était vrai que depuis quelques jours, nous n’avions plus vu passer sa minuscule voiture dans les rues de notre quartier. Ce qui était d’autant plus étrange que de mémoire d’ancien habitant comme Josie Maboul, ce Monsieur n’avait jamais pris de vacances à l’étranger et ne quittait que rarement son domicile. On ne lui connaissait pas de famille et il ne recevait jamais de visite. On ne l’a jamais non plus vu se promener dans le quartier. A part ses voisins proches, personne ne savait que cet homme existait.
Et si Josie ne surveillait pas les activités de tous les habitants du quartier, personne n’aurait sans doute remarqué qu’il ne sortait plus trois fois par jour en voiture de même que son jardin et sa boîte à lettres semblaient à l’abandon.
Josie est allée tourner autour de sa maison plusieurs jours d’affilée. Elle a essayé de soulever les volets pour essayer de voir à l’intérieur. Puis elle s’est décidée à sonner et n’a pas obtenu de réponse. Le jour suivant, elle est revenue avec un escabeau pour être à la hauteur du soupirail du garage et constater si la petite voiture s’y trouvait. Mais comme le soupirail était étroit et le garage trop sombre, Josie n’en apprit pas davantage. Le lendemain, elle décida de grimper sur le balcon à l’arrière de la maison pour tenter d’y voir plus clair.
Aller simple ou aller-retour?
Elle avait repéré une échelle en bois posée le long de la façade derrière un bosquet. Elle a donc posé l’extrémité haute de l’échelle contre la rambarde de la terrasse de sorte à pouvoir l’enjamber et a bien ancré l’autre extrémité dans le sol. Mais enjamber la rambarde tout en maintenant l’échelle en équilibre ne s’avéra pas aussi facile. Après avoir vacillé plusieurs fois et manqué de tomber en levant une jambe, elle se résout à revenir plus tard avec quelqu’un pour lui tenir l’échelle et une jupe plus large.
Sa complice trouvée – une autre vieille du quartier qui se prenait pour une bourgeoise maniérée et ne considérait Josie que comme un auditoire auprès duquel se vanter -, Josie entreprit une nouvelle ascension de l’échelle. Avant d’attaquer le premier échelon, elle remonta sa jupe au-dessus de ses genoux cagneux et la tenait d’une main en progressant doucement sur l’échelle que l’autre tenait en racontant à Josie qu’elle allait s’offrir un nouveau salon. Josie ne l’écoutait pas et remonta sa jupe d’un cran pour escalader la balustrade. Les deux pieds à terre, ma voisine tenta de soulever le lourd volet qui donnait sur le salon mais il était coincé. Notre Josie n’était donc pas plus avancée.
Et elle avait du mal à réfléchir à la suite à donner à cette disparition avec l’autre vieille qui ne la fermait pas. Echaudée par l’affaire du chinchilla de Frank, elle n’osait plus appeler les pompiers pour défoncer une porte. D’un autre côté, si elle tardait trop, Dieu sait dans quel état de décomposition on allait retrouver le vieux s’il n’était pas parti se dorer la pilule sur une plage exotique ? Et l’autre qui jacassait sur la souplesse du cuir de son canapé ! En même temps, se dit Josie sur le chemin du retour, s’il a passé l’arme à gauche, personne ne peut plus rien pour lui. Et comme on ne lui connaissait pas de famille, personne ne se soucierait de la forme dans lequel on le retrouverait.
Mais Josie avait trop tourné autour de la maison pour faire comme si de rien était. Elle décida de tout de même prévenir la police. Une patrouille accompagnée de sapeurs-pompiers défonça la porte et ne trouva qu’une maison vide. Un avis de recherche fût alors lancé dans la presse, mais personne n’avait vu le discret voisin. Sa petite voiture a été signalée quelques jours plus tard sur le parking de l’aéroport par le gardien. Le voisin avait gagné un voyage de trois semaines sous les Tropiques lors d’un tirage au sort dans un des supermarchés qu’il fréquentait. Heureux d’avoir gagné quelque chose pour la première fois dans sa vie, il avait décidé de se faire violence et de changer ses habitudes pendant ses vacances.
Il est donc revenu le teint frais et la mine réjouie. Alors qu’il garait sa petite voiture devant sa petite maison, il remarqua que quelqu’un avait tondu la pelouse, relevé le courrier et lié en paquet avec un joli nœud en tissus, vestige des fêtes de Noël.
N’hésitez pas à laisser des commentaires. J’y répondrai rapidement.
Vous devez être connecté·e pour rédiger un commentaire.