Deux intellectuels assis vont moins loin
qu’une brute qui marche
– Un Taxi pour Tobrouk (1960) de Michel Audiard –
Deux intellos assis vont moins loin qu’une brute qui marche. Et les gens qui lisent en marchant, où vont-ils? Le savent-ils eux-mêmes? La maison de mes parents est sur le trajet d’une dame qui promène son chien en bouquinant. La voir avancer ainsi est assez déconcertant.
Elle tient la laisse de son chien d’une main et son livre du moment de l’autre. Elle semble totalement prise par sa lecture, abandonnant à son fidèle compagnon la voie de son maître. Qu’il pleuve ou qu’il vente, elle marche en lisant, tenant la laisse, le livre et un parapluie. Imperturbable.
Il y a toutes sortes de fous sur terre, disait mon arrière grand-père. Mais lire en marchant, est-ce forcément si fou que cela? A en juger par le nombre d’articles à ce sujet trouvés sur le net, pas tant que ça. Il s’agirait d’une pratique nommée book walking, proche de la marche méditative couramment pratiquée en sophrologie.
De prime abord, la pratique étonne, mais que le premier d’entre vous, lecteurs, qui n’a jamais lu ses mails, répondu à un message ou fait défiler son mur Facebook en marchant jette la première pierre à cette dame. En ville, les trottoirs sont bondés d’individus consultant leur doudou intelligent à la recherche de réconfort, des «zombies du smartphone». Le phénomène est tellement répandu qu’en Chine des voies piétonnes dédiées aux utilisateurs de téléphone ont été créées. Aux Etats-Unis, il est interdit de traverser la rue en regardant son smartphone sous peine de passer par la case prison.
Les hémorroïdes de tante Maria
D’autres parlent tout seul en marchant. Ceux-là me fichent carrément la trouille! Combien de fois ai-je sursauté, croyant qu’on me parlait avant de comprendre que ces personnes parlaient à quelqu’un situé à l’autre bout d’une oreillette? Une pratique assez schizophrène, je trouve. Comment faire la différence entre quelqu’un qui téléphone et quelqu’un qui parle tout seul, quand l’oreillette est cachée? Et puis, honnêtement, je m’en fous d’apprendre que tante Maria a des hémorroïdes et qu’elle en est au dix-septième traitement pour les faire disparaître parce que le chalumeau n’a fait qu’aggraver les choses ou que Pierre, Paul ou Jacques est un connard pour une raison qui m’échappe, tellement la discussion est incohérente.
Alors cette dame qui lit en marchant, laissons-là tranquille puisqu’elle ne pollue pas notre environnement de discussions qui ne regardent personne, mais sont malgré tout partagées sans pudeur aucune avec les passants. Comme quoi, les cons peuvent marcher et parler en même temps! Cette dame ne s’impose pas, elle n’essaye pas de crier plus fort que son voisin, ne pense pas que son quotidien est plus intéressant que celui des autres au point de mériter d’être partagé avec tout le monde. Elle n’a peut-être pas d’avis sur tout. Et peut-être que son livre est pour elle, un bouclier contre les nuisances sonores de toutes sortes. Elle se déconnecte.
Arrêtes de lire et caresse-moi!
Très bien! Mais à quoi bon avoir un chien si on n’interagit pas avec lui? J’ai toujours pensé que la promenade était un moment privilégié entre le maître et son chien. Il est possible que je me trompe, je n’y connais rien en chien à part qu’ils se reniflent le derrière et bouffent leur merde et celle des autres. Si j’avais un chien, à moins qu’il soit trop con, je pense que je me dégourdirais les jambes avec lui et que je chercherais une quelconque interaction pour qu’il soit heureux et qu’il me regarde avec un regard admiratif, limite humide, en tirant la langue.
Heureusement, j’aime les chats et la manière charmante qu’ils ont d’essayer de vous empêcher de lire en posant gracieusement leur séant sur votre bouquin, en se dressant sur vos genoux entre vous et votre livre ou en donnant des petits coups de patte pour faire tourner les pages plus rapidement. Le greffier veut vous faire passer un message: arrêtes de lire et caresse-moi, maintenant, parce que dans dix minutes ce sera trop tard!
Il faut que je trouve un truc pour conclure, mais avec ce putain de piano crincrin qui craint, installé en bas de chez moi, je n’arrive plus à me concentrer. Merci aux pianistes amateurs, aux mômes, aux accordeurs et aux personnes qui l’ont mis là pour cette cacophonique et permanente pollution sonore!
«J’m’en fous, j’m’en fous de tout
De ces chaînes qui pendent à nos cous
J’m’enfuis, j’oublie
Je m’offre une parenthèse, un sursis
Je marche seul
Dans les rues qui se donnent…»
– JJG –
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