Halloween dans le rue du bien et du mal

img_2319-copyJosie trainait sa carcasse sans âge devant le Gimme Shelter. Les clients l’observaient depuis la petite terrasse improvisée par Chris. Ma voisine faisait de courts va-et-vient en boitant sur ses petites jambes cagneuses perdues dans un collant brun en laine qui tirbouchonnait aux chevilles sur ses godillots informes. Elle se tenait de plus en plus mal. Sa colonne vertébrale formait un arc de cercle : le bide en avant, les épaules rentrées et le cou en avant. A son air renfrogné, quelque chose devait la perturber. Elle grattait ses cheveux hirsutes avec ses longs doigts nerveux et jaunis par une consommation intempestive de mauvais tabac, puis elle tirait fébrilement sur les bords de son gilet vert sapin trop étroit pour le descendre plus bas sur sa longue jupe droite kaki. Les créateurs de la série Big Bang Theorie avaient dû s’inspirer d’elle pour créer le look d’Amy Farrah Fowler.

Josie tournait, tournait, tournait… Elle s’immobilisa quand une voiture entra dans notre rue pour faire un demi-tour. Son regard glauque ne la lâcha pas avant qu’elle ait tourné à l’angle de la rue perpendiculaire à la nôtre. Puis, elle reprit sa surveillance du bar. Dos arqué, ventre et tête en avant. Poitrine rentrée et bras tordus. Elle chipotait aux fleurs dans les bacs, ramassait un papier ou un mégot, faisait mine de s’en aller pour mieux revenir pour se donner une contenance.

Chris, le patron du Gimme Shelter, et Zoltan, son serveur, l’observaient depuis le comptoir. A présent, elle se grattait la tête de manière simiesque. Les deux hommes se demandaient ce qu’elle mijotait. Mais ce n’était pas après Chris ou le Gimme Shelter qu’elle en avait, ni même après un véhicule mal stationné. Elle guettait l’arrivée de ses complices ! Elle devait les faire rentrer chez elle le plus discrètement possible, personne ne devait les voir.

De son bout de trottoir, elle disséquait du regard chaque véhicule qui arrivait au loin. Plus le temps passait, plus elle avait l’air fébrile. Elle trépignait. Elle regrettait de ne pas avoir glissé une de ses cigarettes roulées au tabac bon marché dans la poche de son tablier. Dans un tel moment de tension, elle s’en serait bien grillé une petite. Mais si elle rentrait maintenant et qu’ils arrivaient, on allait les voir.

Du petit parking arrivaient trois grands échalas à l’air pas très vif. L’un d’eux portait un grand sac de sport noir en toile. Josie essayait de leur faire des signes discrets avec son index en le tournant d’eux à elle. Puis elle alla ouvrir la porte d’entrée de la maison, y entra et fit mine de claquer la porte alors qu’elle l’avait calée avec un bout de torchon pour permettre aux trois individus d’entrer à sa suite sans qu’on les voie ensembles.

Les masques tombent

Chris avait sorti ses zombies glam rock et la voisine d’en face faisait étalage dans ses fenêtres d’une collection de lanternes creusées dans des citrouilles. C’était Halloween ! Des petits diables allaient certainement envahir les rues du quartier à la chasse aux bonbons et aux frayeurs. Avec mes oreilles de chat et mon chaudron de bonbons, je les attendais de pied ferme en espérant qu’ils ne s’arrêteraient pas au rez-de-chaussée pour voir une sorcière comme l’année dernière.

La nuit tombait en cette veille de Toussaint, bientôt elle se ferait mystique. Les rires de petits démons insouciants résonnaient au loin. Ils courraient en s’amusant des réactions des habitants du quartier quand ils leur ouvraient leurs portes. Je les observais de ma fenêtre. La nuit de l’antique Samain était plus magique que sombre. J’aimais cette nuit enracinée dans le mythe de nos origines et de nos peurs. Elle sentait le souffre…

Mais c’est vrai que cela sent le soufre, mes moustaches de chat chatouillaient mes joues tandis que je renifflais l’air. Les enfants ne semblaient avoir rien remarqué. Ils venaient de quitter le Gimme Shelter où Chris leur avait donné des dentiers de vampire en gélatine, des chauves-souris à la réglisse et des petits hot dogs au ketchup en forme de doigts ensanglantés. Ils s’amusaient des zombies rock quand je les vis se figer sur place et une impression de peur envahir leurs bouilles maquillées. La plus petite de la bande, une jolie sorcière, se mit à pleurer. De grosses larmes noires coulaient le long de ses joues dodues. Les autres enfants se jettaient des regards affolés sans oser quitter des yeux ce qui leur faisait tant peur : quatre clowns tueurs. Trois grands et un plus petit.

img_2525Quels grands cons avaient eu l’idée de se déguiser ainsi pour faire peur à des gosses le soir d’Halloween? Le véritables clowns tueurs avaient trusté les têtes de pages faits divers des journaux, les jours qui avaient précédé Halloween. Ils étaient dangereux et terrifiants. Les enfants ne faisaient pas la différence entre ces clowns et les imbéciles qui avaient mis les pieds dans le quartier. Ils avaient de grandes bouches pleines de dents pourries, l’air mauvais et des regards pervers. L’un d’eux avait un couteau en plastique et un autre une hâche ensanglantée. Le plus petit était tout tordu. Il donna l’ordre aux trois autres d’attrapper les enfants et de voler leur friandises. Les trois clowns se mirent à courir en grognant desous leurs masques en caoutchouc.

Chris et Zoltan étaient sortis dans la rue en entendant les cris des enfants. Le petit clown disparut se cacher derrière des poubelles tandis que Zoltan et Chris se précipitaient pour s’interposer entre les enfants et les trois escogriffes. L’un d’eux avait attrapé la petite sorcière. Son sac de bonbons était répandu au sol. Le deuxième tirait un petit Batman par la cape. Le troisième courait derrière le reste de la troupe en brandissant sa hache. Les clients du café sortirent à leur tour pour prêter main forte à Chris et Zoltan. En deux temps trois mouvements, ils avaient immobilisé et démasqué les trois clowns. Le petit restait caché derrière les poubelles. Je le voyais depuis ma fenêtre. Je voyais aussi des girophares approcher au loin.

L’un des clients avaient prévenu la police. Les agents embarquèrent les trois zozos. La petite sorcière pleurait toujours. Entre deux sanglots, elle dit à Zoltan qui essayait de la rassurer en lui promettant des bonbons et un chocolat chaud parsemé de guimauves, que le quatrième clown manquait. De ma fenêtre, je me mis à miauler pour attirer l’attention de Zoltan et du bout du nez, lui indiquait où chercher. Il se précipita derrière les poubelles et en revint avec… Josie ! Malgré ses protestations, les policiers lui passèrent les menottes. Sous leur autorité, elle expliqua qu’elle avait trouvé les trois lascars dans un café et les avait payés pour qu’ils l’aident à faire la frousse aux enfants. Il n’était pas question de leur faire du mal, juste de leur donner une bonne leçon. L’an dernier, expliqua-t-elle aux policiers, ils avaient passé la soirée d’Halloween à sonner à sa porte pour voir une sorcière. Cela l’avait rendu triste.

Les policiers donnèrent à leur tour une bonne leçon à Josie et l’embarquèrent avec ses trois accolytes pour réfléchir à leurs actes dans une cellule. Chris et Zoltan invitèrent les enfants au Gimme Shelter pour partager le reste des bonbons et leur offrir des chocolats chauds. La nuit d’Halloween allait prendre une tournure plus douce pour les bambins victimes de cette mauvaise blague. La police avait prévenu leurs parents de l’incident et les avait invités à les rejoindre au Gimme Shelter. Quant à Josie, après une nuit cauchemardesque en prison, elle allait encore une fois devoir raser les murs du quartier. Un peu avant minuit dans le jardin du bien et du mal, le mal avait perdu.

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