Josie voulait encore croire à l’amour, être séduite, avoir une dernière chance de ne pas vieillir seule au milieu de ses napperons crochetés. Aussi, quand un plombier vint réparer la chasse d’eau de ses toilettes, elle y vit une opportunité pour que l’on s’occupe de sa propre tuyauterie qui n’avait pas servi depuis bien longtemps.
Elle mit le peu de charme dont elle disposait à profit pour obtenir un peu plus qu’un simple sourire du plombier. De ses dents jaunies et de guingois, elle esquissait de timides sourires auxquels elle joignait un savant papillonnage de ses yeux bleus délavés et boursoufflés. Toute de sucre et se dandinant dans son tablier à fleurs, elle confia au malheureux plombier la détresse dans laquelle la plongeait sa solitude. Elle lui avoua au combien elle aurait besoin d’un homme à ses côtés. Mais tout cela, c’était bien fini pour elle. Elle était trop âgée à présent.
Gêné par ses confidences, le plombier ne pipait mot tandis qu’il remplaçait le flotteur. Il connaissait les fantasmes que suscitait sa profession auprès de la gent féminine. Josie continuait de lui raconter sa vie. Coincé dans le minuscule cabinet de toilette, il était forcé de l’écouter et il ne pouvait prétexter un travail urgent à faire pour lui échapper. Il était à sa merci. Josie en jubilait.
C’est qu’il était plutôt joli son plombier. Un peu sec, pas très grand et la quarantaine avancée. Josie se sentait pousser des griffes de cougar. Ses cheveux grisonnants étaient coupés en brosse et – elle l’avait tout de suite remarqué – il avait de beaux yeux verts un peu tristes. En fait, tout en lui paraissait triste. Cela leur ferait au moins un point commun, pensa Josie. Tout en lui racontant sa vie, elle le détaillait. C’était un manuel, ses mains et ses avant-bras étaient recouverts de cicatrices. Il sentait le tabac froid et la sueur, portait une barbe de quelques jours. Cet homme là se négligeait, conclut Josie. Il n’était pas comme l’ami de sa voisine du dessus. Il était costaud, sentait toujours bon et prenait soin de son apparence. Mais un bel homme comme celui-là, elle n’en aurait pas. A moins de le payer. Elle pourrait déjà se considérer heureuse si un petit plombier gringalet au regard triste prenait le temps de l’écouter et acceptait de la considérer autrement que comme une vieille femme aigrie et insignifiante. Aussi tenta-t-elle de prolonger ce moment en lui proposant un café ou une bière. Il accepta et procura à Josie un bon quart d’heure de bonheur supplémentaire.
Accord et désaccords
Quelques jours plus tard, la fourgonnette du plombier stationnait à nouveau devant la maison. Josie avait toujours des ennuis de plomberie. Et quelques jours encore plus tard, à nouveau. Et encore la semaine suivante. Et celle d’après. Et celle d’encore après. Au bout d’un moment, la fourgonnette était stationnée dans la rue tous les jours. Nous en avons donc conclu que Josie avait fini par attendrir le plombier, même si cela paraissait inconcevable pour la plupart des habitants du quartier.
Mais cet heureux ménage ne dura pas longtemps. On les entendait se disputer de plus en plus souvent. Il claquait alors violemment la porte et ne revenait que bien plus tard. Une nuit que je rentrais de chez le viking, je l’ai croisé en bas de la maison. L’œil hagard, il paraissait perdu et ne semblait même pas dérangé par le froid dans son petit blouson en jean. Les semaines passaient, les disputes aussi. De plus en plus virulentes. Un soir, on entendit des coups, du verre brisé ou un objet se fracassant au sol. Ensuite, le plombier présenta ses excuses à Josie et lui promit de tout réparer. Puis une porte claqua. Et plus rien pendant des semaines, plus de portes qui claquent, plus de fourgonnette, plus de plombier.
Le départ du plombier ne semblait affecter Josie outre mesure. Lucide, elle se doutait depuis le début que son histoire avec le plombier n’était pas vouée à durer éternellement. Un homme n’amenait que des ennuis. A elle en tout cas. Cependant le plombier n’avait pas encore tiré la chasse d’eau sur leur histoire. Les portes allaient claquer à nouveau. Moins, mais elles allaient claquer. Et les habitants de notre maison allaient recroiser un petit plombier de plus en plus hagard et puant. Surtout à la cave. Non pas qu’il y avait des fuites, mais parce que Josie lui y avait installé un lit d’appoint et une chaufferette pour les nuits d’hivers où ils ne se tiendraient plus chaud.
Plombier plombé
Un matin, en allant travailler, je dus l’enjamber pour sortir de la maison. Il était affalé au beau milieu du couloir à mi-chemin entre la porte de Josie et celle de la cave. Il puait l’alcool, le vomi et la transpiration. Je le poussais légèrement de la pointe du pied pour vérifier qu’il respirait encore. Il ne réagit pas. Je le poussais un peu plus fort. Il paraissait si sale qu’il était hors de question que je le touche. Il ne bronchait toujours pas, mais une seringue glissa d’une de ses poches.
J’allais chercher Josie pour qu’elle prévienne une ambulance. En attendant son arrivée, ma voisine me raconta que le plombier vivait dans sa fourgonnette quand ils s’étaient rencontrés. Il sortait de cure de désintoxication après un passage en prison pour détention et vente de drogue. Il lui avait dit que tout cela était derrière lui. Ils s’étaient alors apporté l’amour et la sécurité dont ils manquaient. Jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin l’un de l’autre. Josie n’avait pas voulu qu’il retourne à la rue et l’avait installé dans sa cave jusqu’à ce qu’il retrouve un logement. Mais ses économies coulaient à nouveau dans ses veines. Il avait replongé.
Quelques mois plus tard, un coursier apporta une belle plante à Josie. Elle venait du plombier.
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