Aujourd’hui, je me sentais légère, ragaillardie, appréciée… Prête à jeter mon bonheur insolent à la face du monde et de notre voisine en particulier. Mais elle semblait avoir disparu de la circulation. Pas un bruit ne filtrait de son appartement, sauf peut-être des sortes de déflagrations sourdes en soirée. Nous étions enfin tranquilles. Quoique.
Josie était décidée à ne pas nous lâcher la grappe. Chacune de nos rencontres lui servait de prétexte à essayer de me mettre hors de moi. Je n’étais cependant pas disposée à devenir son nouveau jouet. Une jolie poupée qui crie, rit, pleure, qui dit oui ou qui dit non suivant sur quel bouton on appuie.
Elle allait une fois encore essayer de jouer, mais elle allait perdre. Je revenais du centre-ville où j’avais déjeuner avec l’Homme. J’étais au téléphone avec Frank. Il était tout excité. La veille, son nouveau compagnon lui avait remis un double des clés de sa maison. Mon ami voulait me faire partager sa joie et essayait de me convaincre d’accepter une invitation à dîner le soir même dans ce tout nouveau restaurant à la mode pour faire la connaissance de Graham. Un dandy dans le plus pur style wildien et très cultivé. Je ne pouvais que l’apprécier. Il était le meilleur pâtissier du monde. Frank l’avait rencontré lors d’un stage de cuisine. Le coup de foudre. Ils s’étaient trouvé très choux.
Au loin, tandis que Frank me parlait de son grand amour, je repérais Josie qui chipotait après un panneau de signalisation. Elle s’afférait d’un côté de la route à l’autre en secouant la tête de manière interrogative. Qu’était-elle encore en train d’inventer? Je bénissais Frank de m’avoir téléphoné. Au moins je pourrais passer à côté d’elle sans qu’elle ne m’interpelle pour le simple plaisir de me tenir la jambe. Malheureusement, le fait d’être au téléphone ne m’a pas protégé comme je le pensais.
Ma vieille folle de voisine m’a alpaguée. Elle voulait absolument me parler de quelque chose et ma conversation téléphonique ne semblait pas l’en dissuader.
- Pas maintenant! Je suis au téléphone.
- Juste cinq minutes. Si nous n’en parlons pas maintenant, nous ne le ferons jamais. Je sais comment cela se passe. Tu n’as jamais le temps et le soir, tu dis qu’il est trop tard, que tu as besoin de calme.
- C’est vrai, mais là, je ne peux vraiment pas. J’ai un problème à régler là.
- Moi aussi et c’est important.
- Bon écoutes, je descends te voir dans une heure.
- Dans une heure, je serai partie
Pendant ce temps là, mon interlocuteur, freiné dans son élan, patientait. J’avais déjà perdu suffisamment de temps à parlementer. Je me suis rendue
- Veuillez m’excuser quelques instant Monsieur, s’il vous plaît, ma voisine a un problème important à régler immédiatement. Josie, je suis à toi.
- Bien, je voulais juste savoir si tu ne t’opposais pas à ce que j’envoie un courrier à la municipalité pourleur demander d’installer un mât d’éclairage public au croisement de sorte que les panneaux de signalisation soient plus visibles des automobilistes.
J’ai cru défaillir. C’est pour cela qu’elle me retardait. J’étais éberluée.
- Mais je n’en ai rien à fiche!
- Ben qu’est-ce que je fais moi alors?
- Ce que tu veux. Je m’en fiche. Ecris, n’écris pas, fais comme tu veux. De toute manière, pour les trois voitures étrangères au quartier qui passent par ici tous les jours…
- Tu ne veux pas que j’écrive?
- Mais tu fais ce que tu veux. Tant mieux pour toi si cela marche.
- Si tu vois ton ami Franck du premier étage, peux-tu lui poser la question et lui demander de me donner une réponse rapidement afin que je sache si je peux écrire le courrier au nom du quartier ou en mon nom propre. J’essaye de lui téléphoner depuis, trente minutes mais il ne répond pas. En plus, il est de moins en moins souvent chez lui.
Je me demande comment je fais pour garder mon calme. Frank, qui avait tout entendu, était mort de rire. Il hoquetait et bégayait. Moi aussi, mais pas de rire. Bon, je le reconnais, j’y ai mis beaucoup de mauvaise foi. Mais franchement, elle ne pouvait être sérieuse? C’était juste pour m’emmerder! Personne n’avait pour idée de vouloir éclairer des panneaux de signalisation phosphorescents. Cela n’existe nulle part au monde ou bien me trompe-je? En plus, à Noël, elle avait écrit un courrier à la mnicipalité pour se plaindre des décorations de Noël au nom des économies d’énergie et de la protection climatique, arguant que la municipalité devait montrer l’exemple aux populations dont la plupart n’étaient pas assez cultivées pour comprendre les enjeux écologiques et économiques d’une telle politique publique.
Cette histoire avait donné à Frank un argument imparable pour me convaincre d’accepter son invitation à dîner. Un cosmopolitan en terrasse me détendrait. Il passait me prendre dans une heure. Inutile de préciser que Frank n’a jamais répondu à Josie et que les panneaux n’ont jamais été éclairés. J’ignore si Josie a finalement envoyé un courrier ou si celui-ci est resté lettre morte.
Vous devez être connecté·e pour rédiger un commentaire.