Josie avait déposé la plainte de trop contre le Gimme Shelter. Chris, le patron, avait menacé de la tuer, mais paradoxalement, il se souciait de son bien-être et la couvrait de victuailles. Une seule personne semblait troublée par l’attitude de Chris: l’épicier à qui le patron du Gimme Shelter avait déjà commandé trois bouteilles d’antigel en plein été…
«Chris a mis ses menaces à exécution. Je suis certain qu’il doit tenter d’empoisonner Josie avec de l’antigel», confia l’épicier à un des retraités du quartier, «J’ai vu dans une série policière que le liquide pouvait être mortel à forte dose. Chris doit en mettre dans les aliments qu’il offre à Josie.» «Tu regardes trop de ces séries», lui a répondu le papy. «Son comportement est étrange tout de même! Et cet antigel?» «Il tente de l’amadouer avec ses cadeaux. On a tous tenté le coup avant de nous rendre compte que c’était parfaitement inutile. Et pour l’antigel, eh bien, Chris est un homme prévoyant…» Il ne fallut pas plus que cette conversation sur un banc pour que la rumeur soit lancée et qu’elle ricoche sur le zinc du Gimme Shelter, puis jusqu’aux oreilles de Josie. La deuxième partie du plan de Chris pouvait débuter.
Notre chère voisine se croyant insubmersible, elle considéra que tous les habitants du quartier étaient jaloux d’elle comme d’habitude et ne s’arrêta pas à la rumeur. Elle se délectait des petits gâteaux et autres douceurs que Chris lui offrait. Jusqu’à ce qu’elle commence à avoir des crampes d’estomac et des diarrhées… Une sueur froide perlait le long de son dos: et si les gens du quartier avaient raison? Et si Chris essayait bel et bien de l’empoisonner? Josie pris directement rendez-vous chez son médecin généraliste. Celui-ci ce montra rassurant – il y avait une épidémie de gastroentérite – et lui prescrit une prise de sang pour dépister l’éthylène glycol, le produit actif de l’antigel, qui s’avéra négative.
Josie est dans le potage
Josie était rassurée. Chris n’était pas un imbécile, sinon elle en serait venue à bout depuis longtemps. S’il cherchait à la tuer, il n’aurait pas pu plus mal si prendre, pensait-elle. La police l’aurait immédiatement identifié comme le suspect numéro un étant donné leur passif et sa commande d’antigel. Elle n’avait donc rien à craindre et s’empressait d’aller parader dans le quartier. Habituellement tordue en deux ou en trois, elle était presque droite et affichait un grand sourire, car oui, elle savait sourire. Chris servait des clients sur la terrasse quand elle le salua fièrement. «Tout va bien Josie? On m’a dit qu’on t’avait vu rentrer chez le docteur. Me voilà rassuré, moi qui croyait qu’un de mes cadeaux t’était resté sur l’estomac…» Le soir même, son serveur lui apporta une soupe aux potirons.
Josie la renifla avant d’y plonger sa cuillère. Elle pensait que le poison avait une odeur. Or l’éthylène glycol était inodore. Et tant qu’on y est, incolore aussi, mais pas insipide. Selon Wikipédia, l’antigel aurait un goût sucré. Mais Josie ne connaissait pas Wikipédia, sinon elle aurait compris pourquoi Chris ne lui faisait parvenir que des mets au goût sucré. Le potage était onctueux. Chris y avait ajouté un filet de crème et quelques lardons grillés. Josie se régala tant qu’elle mangea toute la casserole.
Rassurée, elle continua à se régaler, jusqu’à ce que la tête se mette à lui tourner après avoir mangé des cakes en forme d’étoiles. Elle avait l’impression d’avoir trop bu et tituba jusqu’à son canapé sur lequel elle s’affala. Même le canapé tournait et puis, en une fraction de secondes, plus rien, le noir complet.
Toubib or not toubib?
Le lendemain, Josie se réveilla encore tout engourdie de la veille. Elle mit son grand manteau et se précipita à son rythme chez le médecin. Celui-ci la rassura une nouvelle fois: elle avait dû faire une chute de tension. Elle était d’ailleurs encore un peu basse. Il lui suggéra de bien se reposer et d’y aller mollo sur le sucre.
Tu parles Charles! Josie s’affala devant sa télévision, la main plongée dans une grosse boîte métallique de gâteaux qu’elle avait posée sur son ventre. Elle avait une de ces faims et n’avait jamais eu aussi soif de sa vie! Comme la veille, sa vision se troubla. Josie avait l’impression que le canapé avait décollé et que ses mouvements étaient lents. Mais à peine l’avait-elle constaté qu’elle l’oubliait aussitôt. Elle finit par sombrer doucement dans le sommeil.
Au réveil, Josie était toujours dans le canapé, la main dans la boîte en métal. La télévision montrait les nouvelles du monde. Josie pensa avoir à nouveau été victime d’une chute de tension. Toute la journée, elle eut d’ailleurs l’impression d’avoir «2 de tension» comme elle avait entendu dire les jeunes. Elle attendit sagement la livraison du Gimme Shelter dans son canapé. Cette fois, il s’agissait d’une soupe mexicaine à la tomate et au maïs. Elle était un peu trop épissée à son goût, mais Josie la dégusta. C’était la première fois de sa vie qu’elle mangeait de la «cuisine exotique». Et certainement la dernière! Prise de violentes coliques, elle ne ferma l’œil de la nuit, pestant contre le piment de la soupe. Les coliques durèrent deux jours. Deux jours durant lesquels elle resta enfermée dans ses WC.
Le doute l’habite
De retour dans la rue, l’épicier vint la trouver. Ne la voyant plus épier derrière sa fenêtre, il s’était inquiété de son sort. Il craignait que Chris ait fini par réussir son coup. «Tu ne crois quand même pas en ces histoires d’empoisonnement?», lui demanda Josie. «Ben si, un peu… J’ai vérifié les effets de l’antigel sur Internet. Cela commence par des étourdissements, des éblouissements et des malaises. Et puis, si l’administration se poursuit, viennent les maux d’estomac et les coliques avant que le produit n’attaque les reins…» Josie lui coupa net la parole pour lui signifier qu’elle allait très bien. «Attention, c’est indétectable et ça a un léger goût sucré!», ajouta l’épicier. «Tu regardes trop de séries policières», conclut Josie qui n’en menait plus très large.
Elle avait eu tous les symptômes évoqués et, à bien y réfléchir, Chris ne lui offrait que des aliments sucrés. Sans doute pour masquer le goût de l’antigel. Cet enfoiré était en train de l’empoisonner à petit feu! Il fallait qu’elle se procure cet Internet pour en avoir le cœur net. En se dirigeant vers le centre-ville où elle avait entendu dire qu’il existait des cafés qui vendaient de l’Internet, elle arracha son téléphone à un gamin et lui ordonna de demander à Internet si elle était empoisonnée à l’antigel. Le gamin, lui frappa le tibia, récupéra son téléphone et s’éloigna.
Josie arriva en boitant au centre-ville. Elle arrêta un policier pour lui demander où elle pouvait trouver de l’Internet pour vérifier si elle était empoisonnée à l’antigel. L’agent lui conseilla d’aller consulter un médecin plutôt. «De quoi j’me mêle?», lui lança Josie, l’œil mauvais.
Cinq minutes plus tard, elle se trouvait devant le café. Il y avait énormément de bruit, de la musique de «bougnoule». Pas étonnant, ça grouillait de «rastacoueres» là-dedans. L’un deux, un peu moins bronzé que les autres, l’accompagna à un ordinateur et l’aida à trouver la page Wikipédia de l’antigel. «Vous écrivez un roman policier?», lui demanda le jeune homme. «Tu sais lire?», s’étonna-t-elle. «Bon maintenant, laisse-moi!» Elle sortit un carnet et un crayon de son sac à main. «Pour prendre des notes», expliqua-t-elle à son voisin d’ordinateur qui la regardait avec étonnement. «Vous pouvez imprimer la page que vous consultez, vous savez. Ça sera plus rapide. Je peux vous montrer», lui proposa-t-il. Hors de question pour Josie de se faire aider par un arabe. Ces gens-là faisaient tout sauter. Elle préféra s’adresser au jeune homme qui l’avait accueilli. Sa feuille pliée en quatre dans son sac-à-mains, elle repartit en sens inverse.
To be continued
Vous devez être connecté·e pour rédiger un commentaire.